Dans le prolongement du travail sur le bidonville, je fais étudier à mes élèves le roman « Cannibales » de Didier Daeninckx. Il est court et pose les bonnes questions mais certains ont du mal à « entrer » dans le livre du fait de la situation d’énonciation un peu particulière... Voici l’aide que je leur ai fournie suite à leurs remarques.
En 1931, Paris organise l’exposition colonialiste universelle. C’est l’occasion de montrer, dans un périmètre parisien bien délimité et « bien administré » l’immensité d’un territoire conquis dans lequel la puissance impérialiste française a imposé ses normes.
Telle est la toile de fond sur laquelle se déploie le récit du vieux Gocéné… Le lecteur se trouve en effet dans un récit qui enchâsse deux espaces et deux temps : à la fois la forêt de Nouvelle-Calédonie au moment de la révolte kanak et l’exposition universelle qui s’est tenue à Paris du temps de la jeunesse de Gocéné... Au début du roman, la voiture de ce dernier (accompagné de son chauffeur Francis Caroz) est arrêtée par des révolutionnaires kanaks.
Le vieux sage leur explique alors que Caroz fait partie de ces « Blancs » qu’il faut respecter pour ce qu’ils ont fait... Cela l’amène à raconter son histoire, celle des hommes de son pays, emportés loin de chez eux sous des prétextes fallacieux et désignés comme des « cannibales ».
En effet, à cette époque, les organisateurs (les « G.O ») ont tout fait pour « épater la galerie » et montrer du doigt des « sauvages anthropophages » à qui ils ont confié, entre autres missions, celle de se comporter comme des animaux, de se battre, de montrer les dents à travers les cages ou de manger la viande crue. Les femmes se contenteront de danser les seins nus ou de faire risette.
Les rôles sont clairement définis. Sauvages grotesques. Grands seigneurs riches et bedonnants. Capitale triomphante et obscène… Sous le masque des souvenirs de Gocéné, ce petit livre invite surtout le lecteur à une promenade « philosophique » dans « le zoo » et la folie parisienne. Dans le cercle dérisoire de la fête universelle, officiels et visiteurs s’ébouriffent et chantent les airs de, « Nénufar », « la Tonkinoise » ou de « la fille du bédoin »… Le bon Parisien « civilisé » se tord de rire et montre du doigt Gocéné et les siens, « ces autres hommes »... Mais le lecteur comprend, chemin faisant, que ceux qu’on qualifie de « cannibales » sont finalement, et de loin, les plus dignes représentants de l’humanité. Les textes fondateurs de l’humanisme, ceux de Montaigne, Rousseau, Diderot et de Claude Lévi-Strauss ne sont tout compte fait pas loin de cette petite fable exemplaire.