Nous sommes désormais en possession du kit complet du parfait électeur.
A la télé, les clips des prétendants se sont mêlés aux spots publicitaires pour les lessives ce qui a eu un double effet, nous donner de longues plages télévisées infréquentables et d’allonger d’autant l’heure de démarrage des vrais programmes. Dans les rues, les tristes panneaux électoraux ont vainement cherché à nous retenir, en affichant les tronches plus ou moins plaisantes des candidats, tels de vulgaires bas morceaux à l’étal d’un commerçant. Et enfin, pour ceux qui se croyant malins n’allumaient par leur poste et restaient terrés chez eux depuis plusieurs jours, dans nos boîtes aux lettres sont arrivées les professions de foi des dix postulants, mêlées aux publications de Bricolex et Carrefour. C’est d’ailleurs la première fois que je prends plaisir à feuilleter le catalogue Carrefour, l’effet comparaison ?
Alors ne faites pas les étonnés, du genre « Une élection, quelle élection ? ». Dimanche prochain la France vote, et ne venez pas nous casser les urnes avec des affirmations péremptoires comme quoi vous seriez abstentionniste parce qu’ils sont tous nuls. L’excuse serait trop facile. Si les candidats sont nuls, c’est parce qu’ils sont à notre image. Ils sont la représentation physique de chaque famille politique de ce pays, le jus ultime de la décantation, la dernière goutte. Ce n’est pas bien beau vous étonnez-vous, hé bien il faudra faire avec ! Nous n’avons rien de mieux en rayon.
J’en ai entendu durant toute la campagne qui geignaient car les candidatures ne les faisaient pas rêver. « Ah, Mitterrand en 1981, j’en avais les larmes aux yeux » disait l’un, « Sarkozy en 2007, quel élan ! » disait l’autre. Mais, êtes vous aveugles à ce point, au contraire nous avons eu droit à une réelle campagne de rêves. Et même des rêves les plus fous, puisque les vrais problèmes n’ont pas été franchement abordés. La crise économique et financière est restée sous le tapis, priorité à l’élection, on verra plus tard pour les questions qui fâchent. Engueulons-nous sur les détails ce sera plus amusant pour tout le monde.
Par contre du rêve, les candidats se sont décarcassés à nous en fourguer, le Smic à 1700 euros de Jean-Luc Mélanchon ou mieux encore, la colonisation de Mars pour Jacques Cheminade ! Si ce n’est pas du rêve, qu’est-ce qu’il vous faut ? Et Philippe Poutou, il n’a même pas besoin d’en promettre, il suffit de voir son regard lunaire pour comprendre qu’il vit déjà un rêve. On peut donc dire qu’il s’agit très certainement de la campagne présidentielle qui nous aura le plus fait rêver depuis une éternité.
Vous blêmissez, je le vois. Car vous venez de réaliser l’antinomie de la situation, d’un côté en tant qu’électeur vous voulez qu’on vous propose du rêve, mais d’un autre côté vous constatez que lorsque qu’on vous en promet l’incrédulité vous gâche le plaisir.
Mais c’est toujours ainsi lors des élections, il faut faire un choix entre la part du rêve et la réalité objective de la situation. Ce n’est pas facile, certes, mais personne n’a dit le contraire.