Lorsque nous sommes arrivés au royaume de la perfide Albion, avec Prince, je dois bien reconnaître que je ne portais pas bien haut les couleurs de l’art de vivre à la française : j’étais non seulement incapable de distinguer un Bordeaux d’un Bourgogne (poussant l’absence de vice jusqu’à ne jamais boire une goutte d’alcool, ce qui faisait de moi, comme disent joliment les Anglais, une teatotaller), mais aussi nulle en cuisine. Vraiment nulle. Au sens zéro, comme le nombre de recettes que je connaissais. Au risque de faire frémir d’effroi les gastronomes parmi mes lecteurs, je vais jouer la transparence totale en vous révélant mon repas type de l’époque :
- salade de tomates (dans les bons jours, et surtout pas d’herbe fraîche ou d’assaisonnement, malheureuse)
- cassoulet en boîte (oui oui, une boîte de conserve)
- yaourt (0%, évidemment)
Navrant.
Non que je n’appréciais pas la bonne chère, loin de là. Mais au restaurant. Ou chez des amis. Ou chez mes parents. N’importe où, du moment où je n’avais rien à faire. Bref, paresse et peur de mal faire (oui, même aux fourneaux) annihilaient en moi toute velléité de cuisine, au grand dam de mes proches qui n’osaient plus venir déjeuner à la maison (« Encore un peu de cassoulet en boîte ?»).
Une chère amie ayant particulièrement à cœur mon bonheur culinaire m’envoya même un long mail intitulé « Menus faciles pour bras cassés », incluant pâtes au beurre et au fromage râpé, soupe de tomates express à base de concentré et poisson en papillote. En vain.
Les années passant, les kilos s’accumulant, et la Manche traversant, la fameuse boîte de cassoulet est devenue plat cuisiné minceur Marks & Spencer. Et je n’ai jamais appris à cuisiner. Mais depuis quelque temps, je me (sur)prends à rêver de gâteaux. Peut-être est-ce la perspective – de plus en plus probable – que Prince et moi demeurions en Angleterre pour un bon moment qui me perturbe. Toujours est-il qu’à ma grande surprise (j’ai toujours préféré une bonne tablette de chocolat aux pâtisseries), moëlleux au chocolat, quatre quarts et autres tartes au citron peuplent mes rêveries de SuperConsultante entre deux tableaux Excel.
Le cœur battant, je me décide à FAIRE LA CUISINE.
Pour ce baptême du feu, je porte mon dévolu sur une recette de crumble aux pommes. Et peu importe que j’abhorre autant les pommes que la cuisine anglaise. Eva in London a ses raisons que la raison ignore.
Je trébuche au premier obstacle : la liste d’ingrédients, qui me plonge dans un abîme de tergiversations. Du beurre salted, est-ce la même chose que du demi-sel ? Où trouver de la farine T65 ? La vergeoise, késaco ? Tesco me propose du sucre muscovado, du dark brown, du light brown, des molasses, du Golden Syrup… mais pas de vergeoise. Google m’informe obligeamment qu’il s’agit d’une spécialité du Nord de la France. Génial. Je confectionne le dessert le plus typiquement britannique qui soit, mais version ch’ti.
Les bras chargés de trois sortes de sucres, un kilo et demi de pommes Fuji (dont le nom japonisant me tracasse, moi qui étais partie à la recherche de « Reines des Reinettes ») et deux plaquettes de beurre (unsalted et salted, on ne sait jamais), je reviens vaillamment à la maison, où m’attend une déplaisante odeur de brûlé. Etrange.
Un rapide passage en revue du minuscule coin cuisine m’apprend que rien ne sert de mettre le four à préchauffer 1h30 à l’avance. Surtout quand le dit four contient le reste de plat cuisiné de la veille.
Je ne me laisse pas abattre pour autant, et me lance dans la confection du crumble proprement dite, bien décidée à suivre la recette à la lettre : une première fois se prête mal à l’improvisation. Cependant, j’ « oublie » de faire revenir les pommes dans un peu de beurre et de sucre (“Elles cuiront très bien au four”) et me contente de doser plus qu’approximativement le sucre et la cannelle.
Voici enfin venu le moment de mettre la main à la pâte – expression que je prends au pied de la lettre.
Le beurre a beau fondre entre mes doigts rapidement tout graisseux, il refuse obstinément de se combiner à la farine all purpose. Sans doute est-ce parce qu’il sort directement des rayons réfrigérés du supermarché. Qu’à cela ne tienne : j’enfourne mon mélange pas du tout mélangé de beurre salted et de farine anglaise. Quelques minutes après, je récupère, désappointée, une mixture peu appétissante.
18h55. Prince va bientôt rentrer. Pas le choix : je me salis à nouveau les mains, jure en me brûlant les doigts et amalgame comme je le puis le beurre brûlé à la farine. Enfin, la touche finale : les pommes (pas cuites, pas caramélisées et pas Reines des Reinettes).
- C’est succulent, grimace Prince en avalant péniblement ce qui ne ressemble que de très loin à un crumble aux pommes (ch’ti ou anglais).
C’est pour ça que je l’aime.
Et pour vous, la cuisine : corvée, passion ou mystère ?