Bon, vous l’attendez tous (ou pas…), alors on va le faire tout de suite, ce jeu de mots pourri avec le titre du nouveau film de Francis Ford Coppola : “Twixt, deux doigts coupe-faim”.
Voilà… Satisfaits? Parce que nous non, pas vraiment… Déjà, on a un peu honte de plaisanter avec une oeuvre de celui qui reste l’un des plus grands cinéastes américains en exercice, et surtout avec un calembour à forte tendance publicitaire, ce qui n’est pas du tout le style du bonhomme.
Ensuite parce que son dernier long-métrage n’a rien d’un coupe-faim. Au contraire, il s’avère bien trop inconsistant pour satisfaire nos envies de festins cinématographiques. A la rigueur, on pourrait le considérer comme un biscuit apéritif que l’on vous sert en attendant le vrai repas, qui sera peut-être pour plus tard…
Avec ses deux précédents longs-métrages, Coppola avait semblé entamer une sorte de retour aux sources.
L’Homme sans âge était un film assez classique, un film à petit budget dans la lignée des films de commande hollywoodiens qu’il a signés à une époque, qui lui permettait de refaire ses gammes. Tetro était un film plus abouti, une oeuvre plus personnelle, plus intimiste, portée par quelques flamboyances stylistiques et surtout, des trouvailles de mise en scènes qui semblaient indiquer que le cinéaste voulait continuer d’expérimenter, d’innover, de surprendre, avec la vigueur d’un étudiant en cinéma.
Ne manquait plus que le vrai retour aux sources, à ses premiers pas derrière la caméra, quand il oeuvrait pour Roger Corman, le roi des adaptations d’Edgar Allan Poe sur grand écran (1).
L’ombre de l’écrivain américain plane en effet sur Twixt, conte fantastico-horrifique étrange.
On y fait connaissance de Hall Baltimore (2), un romancier has-been (joué par un acteur has-been, Val Kilmer), en panne d’inspiration depuis un drame personnel. Au cours d’une tournée des librairies pour dédicacer ses anciens bouquins, il arrive dans une petite ville des Etats-Unis ayant jadis accueilli l’auteur du “Corbeau” et de “La Tombe de Ligeia”. Les lieux sont donc chargés d’Histoire… mais aussi d’histoires, étranges ou horribles…
Dernière en date, la découverte d’un cadavre de jeune femme avec un pieu planté dans le coeur. Le shérif local mène l’enquête en dilettante, son esprit semblant occupé par d’autres tâches plus artistiques, comme la sculpture d’objets en bois et l’écriture de romans policiers/horrifiques. Il voit moins ce meurtre comme une affaire à résoudre que comme le point de départ d’un roman. Et il propose à Baltimore d’écrire à quatre mains un nouveau best-seller du thriller.
L’écrivain rechigne un peu, mais il ne tarde pas à découvrir que la bourgade baigne dans une ambiance particulière et recèle quelques bizarreries aptes à titiller son inspiration. Par exemple, ce clocher qui affiche plusieurs cadrans donnant des heures différentes, ou cet hôtel désaffecté, fermé suite à des crimes atroces… Sans oublier les apparitions fantomatiques qui errent dans les alentours… De quoi lui redonner illico l’envie d’écrire, pour le plus grand bonheur de son éditeur.
Mais pour aller au bout de sa démarche, Hall doit résoudre plusieurs des mystères qui entourent la ville, ce qui ne va pas s’avérer sans risques… Il peut compter sur V. (Vi), une jeune fille d’allure… euh… vampirique et sur Edgar Allan Poe lui-même pour le guider dans les sombres secrets de la ville…
Le concept du film n’est pas mauvais. Il traite des affres de la création littéraire, de l’angoisse de la page blanche, de la façon dont viennent les idées, en plongeant le héros dans un univers entre réalité et cauchemar, entre souvenirs personnels et hallucinations. Si l’intervention de Poe et le côté romancier tourmenté évoquent The Descendant, un petit film d’horreur avec Katherine Heigl, tourné en 2003, l’ambiance du film nous rappelle plus des oeuvres comme l’Antre de la folie ou La part des ténèbres, qui s’inspiraient d’autres grands noms de la littérature fantastique américaine, H.P.Lovecraft et Stephen King.
Belle approche, belles références et une base autobiographique/intimiste touchante puisque Coppola évoque, d’une manière détournée, la mort dramatique de son fils (3). Le problème, c’est que le scénario est trop confus pour nous tenir en haleine. Le cinéaste a avoué s’être inspiré d’un de ses rêves
pour écrire son histoire et cela se sent : le script a autant de cohérence qu’un songe, et on se désintéresse assez vite de ce qui se passe sur l’écran.
La seule chose qui nous permette de nous accrocher jusqu’au bout du récit, c’est la réalisation de Coppola, souvent brillante, inspirée, audacieuse même parfois. Une vraie leçon de cinéma qui vient pimenter une intrigue bien trop mince pour convaincre. Il y a un côté retour aux sources, encore une fois, car comme Twixt, son Dementia 13 ne se distinguait des autres films de genre que par le style plus flamboyant de sa mise en scène… Il y a aussi un côté novateur, expérimental et tourné vers l’avenir, puisque le cinéaste se met au relief. Pas pour l’intégralité du film, non, il trouve que cela fatigue inutilement les yeux et que cela n’a que peu d’intérêt, mais dans deux séquences particulières, correspondant à des “points culminants” de son récit. Bon, soyons francs, nous ne sommes pas plus convaincus de l’utilité du relief pour ce film-là que pour le reste des oeuvres surfant sur la mode 3D, mais le cinéaste a au moins l’intelligence d’exploiter véritablement le côté vertigineux offert par la profondeur de champ du relief.
Maintenant, de deux choses l’une. Soit vous pouvez vous contenter de la mise en scène du maitre et vous apprécierez alors cet amusant exercice de style. Soit, comme nous, vous avez besoin de vous mettre des choses un peu plus consistantes sous la canine, fût-elle de vampire, et vous serez fortement déçu par cette oeuvre très mineure d’un cinéaste majeur.
Vous vous consolerez peut-être en apprenant que le prochain projet de Francis Ford Coppola sera, de l’aveu de l’intéressé, un film beaucoup plus ample. Peut-être lui fallait-il ce retour aux sources pour retrouver des sensations et se lancer dans un de ces projets démesurés qui ont fait sa réputation…
C’est le moment de se souvenir que le très quelconque Dementia 13 avait été suivi par rien moins que Le Parrain 1 & 2 et Conversation secrète. S’il faut se manger un Twixt pour ensuite avoir droit un festin cinématographique digne de ces trois étoiles, on signe tout de suite. Wait and see…
(1) : Il a oeuvré comme assistant réalisateur sur L’enterré vivant et The Terror . Son premier long, Dementia 13, est aussi un film d’épouvante.
(2) : Poe vécut une bonne partie de sa vie à Baltimore.
(3) : Gian-Carlo Coppola, le fils aîné du cinéaste, est décédé dans un accident de speedboat en 1986, à l’âge de 22 ans.
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Twixt
Twixt
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Avec : Val Kilmer, Bruce Dern, Elle Fanning, Ben Chaplin, Joanne Whalley, David Paymer, Alden Ehrenreich
Origine : Etats-Unis
Genre : deux doigts qui ne coupent pas la faim
Durée : 1h29
Date de sortie France : 11/04/2012
Note pour ce film : ●●○○○○
contrepoint critique chez : Excessif
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