On dit que les yeux sont les fenêtres de l’âme, et il y a du vrai dans cette image. Car on y voit quelque chose, on y découvre quand on regarde bien une injonction, un commandement, d’une puissance inouïe. Dans les yeux du visage de l’autre on peut lire : tu ne me tueras pas…
Que signifie cette idée ? Comment y souscrire quand nous sommes si habitués aux crimes que leurs échos continuels nous font à peine trembler ? C’est que l’habituel nous fait oublier l’essentiel, et recouvre un phénomène pourtant exceptionnel, à la fois banal et sacré, évident et mystérieux.
Le visage est le seul phénomène qu’on ne peut entièrement dominer ou maîtriser. Il offre au regard et à l’intelligence ce qu’on ne peut être sûr de comprendre tout à fait. On devine des émotions, on perce à jour des sentiments, mais on ne saura toute la pensée, on n’atteindra jamais l’intériorité. Le visage est nu, mais dit très peu. D’où sa puissance, liée à son inaccessibilité.
Le visage offre une résistance irréductible à la prise, une puissance donc qu’on ne peut soumettre qu’en la supprimant. C’est parce qu’il est inviolable, qu’on n’en vient à bout que par le meurtre… Et pourtant, il nous demande tout le contraire. Le visage de l’autre est une invitation à la paix. C’est une puissance à jamais supérieure, une transcendance comme dit Lévinas, mais qui tend la main…
Car le visage est aussi humble qu’il est puissant. C’est la partie du corps la plus découverte, sans cesse vulnérable, sans cesse offerte. Ce pourquoi elle invite à la relation plutôt qu’à la conquête ou à la négation. Quand je regarde l’autre, j’y lis donc un appel à ma responsabilité.
Essayons de retrouver cette première innocence du regard.