Il nous donne maintenant à lire. Intitulée Auto Biographies, en deux mots et au pluriel, l’exposition qui sera visible jusqu’au 20 mai 2012 est composée autour de trois axes.
Le premier, évident, concerne les généalogies, le second tout aussi attendu, offre des témoignages sous forme de récits ou de fictions. Enfin, plus décalés, des systèmes et des inventaires témoignent de leur enracinement dans la vie de leurs auteurs.
Ainsi, Sol Lewitt, né en 1927 aux États-Unis, a toujours eu pour habitude de présenter un travail très conceptuel. Il s’est rendu célèbre par ses œuvres minimalistes. Ce qui est montré ici n’est cette fois pas glacial. Bien que les clichés soient tous en noir et blanc. Fidèle à son goût pour les inventaires il avait décidé de photographier les objets du quotidien qui se trouvaient dans son atelier et son appartement new-yorkais. Ces objets « parlent d’eux-mêmes » instaurant donc une narration. Intitulée Autobiography, cette œuvre a fait l’objet d’un livre paru en 1980 et dont les pages sont reproduites sur le mur.
Dans la même pièce le calendrier d’On Kawara inventorie les jours où il a conçu ses « Date paintings ». L’artiste s’était fixé pour règle de ne jamais consacrer plus de 24 heures à une seule toile. On remarque que certains jours il a même pu en faire deux.
Juste à coté, les aquarelles d’Yvan Salomone, né à Saint-Malo en 1957, composent de grandes taches de couleur. Ce passionné des zones portuaires les photographie sans relâche. Le travail qui nous est montré est autobiographique en ce sens qu’Yvan peint uniquement d’après ses clichés, dans son atelier, jamais in situ, dans un unique format de 138 sur 95 centimètres. Les toiles proviennent de sa collection particulière. Elles ont été choisies et agencées par l’artiste, par ordre chronologique de 1991 à 2011, à raison d’une par an. C’est lui qui anime aussi la vitrine de la rue Bassano avec 15 autres tableaux de la même taille.
Les artistes présents dans cette nouvelle exposition se sont tous inspirés de leur vie et de leurs expériences pour créer leurs œuvres, parfois de manière ponctuelle. Dans ce registre du récit on peut estimer que Jonas Mekas, né en 1922, est allé très loin en réalisant un journal intime filmé. La période 1964 -1966 devient une vidéo resserrée sur trois heures d’images tressautantes, semblant parfois projetées en accéléré, donnant un exemple très représentatif d’une vie transformée en œuvre.
Pensant qu’il n’y avait plus rien à inventer en peinture, Franz Erhard Walther, né en 1939 en Allemagne, a très tôt choisi de manipuler la toile. Il est connu pour avoir travaillé avec des objets en étoffe que les spectateurs étaient invités à manipuler.
Entre 2007 et 2009 il a passé deux années entières à écrire et dessiner un cycle de dessins, sous le titre de Poussière d’étoiles qu’il destinait à la publication. Elle se déroule sur 524 planches originales et il a accepté de prêter 186 d’entre elles qui sont ici accrochées en suivant un ordre chronologique.
Elles révèlent beaucoup de sa vie, ce qui n’est malheureusement accessible qu’aux personnes comprenant sa langue maternelle.
Si Mekas et Walther se situent dans une forme de réalité, Ryan Gander, né en 1976 à Chester, et Ernesto Sartori, né en 1982 en Italie, vivant dans la région de Nantes, sont dans la fiction. Le premier a rédigé des nécrologies anticipatrices qui ont été publiés dans la presse. Le second nous convie à partager un souvenir d’enfance où il est question d’une « rencontre de troisième type » qui fondera son avenir de plasticien. Posée sur le parquet on dirait un vaisseau ...
Des éléments déterminants ont pu avoir été vécus dans la jeunesse et déterminer une œuvre. C’est pour David B la maladie de son frère épileptique. C’est pour Frédéric Pajak la mort de son père. C’est pour Mélanie Delattre-Vogt, née en 1984 à Valenciennes, le passé familial.
Elle s’est inspirée visuellement de portraits de famille et de vieilles photos et psychiquement des entretiens qu’elle a menés avec ses grands-parents, polonais, immigrés dans les mines du Nord de la France, pour dessiner la série Jetsie (la vie en polonais) de fins traits doux, presque des caresses, qui prennent des allures d’aquarelles.
Le crayon de la jeune femme, élève d’Erik Verhagen, le commissaire de l’exposition, devient dur et acéré dans la série Zycie, sur son père, dessinateur industriel, à propos de laquelle elle ne peut pas parler si ce n’est pour dire qu’elle a travaillé à partir de ses souvenirs et de ses rêves. Le dessin semble parfois s’envoler, un peu à la manière dont Folon croquait ses personnages. Elle ajoute qu’elle a tenté de comprendre son père sans y parvenir, du moins pas encore. A tout point de vue le père semble donc s’échapper.
La famille de Fiona Tan, née de père chinois, de mère australienne, est éparpillée aux quatre coins du globe. Elle présente dans une pièce intime un film d’une heure qui s’apparente au documentaire ou à un travail d’enquête pour reconstituer sa généalogie. C’est une sorte de petit tour du monde faisant étape dans les cellules familiales, auprès et autour de ses aïeuls, focalisant à la fois sur les racines et sur les liens historiques socio culturels de l’époque.
Noëlle Pujol nous livre le long monologue polyphonique qu’est l’Histoire racontée par Jean Dougnac, filmé en plan fixe, au pied de son lit, et révélant en quarante minutes le secret de la naissance de l’artiste.
Frédéric Pajak, romancier et dessinateur, éditeur (les Cahiers dessinés), précurseur du style roman dessiné, demeure très marqué par le décès de son père très jeune et cherche à retisser le récit, dans un va et vient, nous faisant penser à Nietzsche qui lui aussi avait perdu son père dans son enfance. Il cite l’Affaire Tournesol qu'il avait reçue en cadeau une semaine avant que son frère ait un accident de voiture.
David B artiste français né en 1959, grande figure de la BD, occupe la coursive avec quelques planches de L’ascension du Haut Mal. L'ensemble compose 6 tomes dessinés entre 1996 et 2003, à l’encre de Chine sur papier, axés sur les scènes d’épilepsie de son frère ainé, 42 planches, plus les couvertures. Il semblerait que l'oeuvre ait porté ses fruits en terme d'effet cathartique.
Enfin la salle ronde fait office de bibliothèque en rassemblant des oeuvres autobiographiques de nombreux écrivains et artistes. J'ai retenu quelques livres :
- Annie Ernaux, avec Ecrire la vie
- Nathalie Sarraute, avec Enfance
- Jean-Paul Sarthe, avec les Mots
- Catherine Millet, avec Jour de souffrance
- Persépolis de Marjane Satrapi
- Ridiculum Vitae de Jean P Verheggen
- Ecorces de Georges Didi-Huberman
- David B, avec l’Ascension
AUTO BIOGRAPHIES jusqu'au 20 mai 2012 à l'Espace culturel Louis Vuitton, 60 rue de Bassano, 75008 Paris, 01 53 57 52 03Entrée libre, du lundi au samedi de 12 à 19 heures, dimanche et jours fériés de 11 à 19 heures