Un jour, un Chien, un fier menteur,
Mauvais, rusé, trompeur, tricheur,
Fit assigner une Brebis :
En justice il la traduisit
Pour, disait-il, avoir gardé
Un pain qu’il lui aurait prêté.
La Brebis, elle, niait tout,
Ne lui devant ni pain ni sou.
Le juge demanda au Chien
S’il pouvait produire un témoin,
Il lui dit qu’il en avait deux -
Le Milan et le Loup : c’est mieux…
Les voilà tous deux amenés,
Prêtant serment, ils ont juré
Que le Chien parlait sans mentir.
Savez-vous pourquoi ils le firent ?
Dans l’espoir d’être bien servis
Si la Brebis perdait la vie.
Le juge, ainsi donc, demanda
A la Brebis qu’il convoqua
Pourquoi elle avait contesté
Qu’un pain lui eût été prêté :
Il n’était plus temps de mentir
Mais de rendre ou s’attendre au pire.
Pour rendre, n’ayant rien à rendre,
La Brebis dut sa laine vendre.
Il faisait froid : elle en est morte.
Le Chien s’en vient, sa laine emporte.
Vient le Milan, il veut sa part,
Puis vient le Loup, un peu plus tard :
La Brebis est mise en quartiers
Et chacun s’en prend sa moitié.
Ainsi a fini la Brebis :
Par son seigneur perdue, trahie.
Cet exemple entend nous montrer
(Et bien des cas puis-je en donner)
Comment par ruse et artifice
On traîne les pauvres en justice.
On fait venir de faux témoins
Qui sur les pauvres se paient bien.
Le malheur d’autrui, peu leur chaut :
Chacun a sa part du gâteau.
Marie de France (XII siècle).
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