Aurais-je seulement eu l'idée de lire ce recueil si je n'avais pas lu auparavant son autofiction Polaroïds ici ? Rien n'est moins sûr parce que je n'avais pas eu pour celui-là la même chance que pour celle-ci d'avoir l'oeil attiré par la couverture dans une des librairies que je fréquente.
Quoiqu'il en soit, les Editions Luce Wilquin ici ont le chic d'envelopper les livres qu'elles publient avec une sorte de faveur qu'elles accordent au chaland, en guise d'accroche-coeur.
C'est pourquoi, si le hasard l'avait voulu, cette jeune femme multipliée, aux cheveux blonds mais aux traits asiatiques, dont le regard se dérobe dans un éblouissement répété, qui tient entre médium et index une cigarette sans l'avoir allumée, n'aurait pas manqué de me donner envie d'aller voir de plus près ce qu'elle pouvait bien cacher, parée de ce bustier à grosses mailles noires.
Certes une couverture ne fait pas un livre, de même qu'un flacon ne fait pas un parfum. Mais la combinaison heureuse des deux ne peut pas laisser indifférent ceux dont la chair communie toujours avec l'esprit, ceux dont les sens sont des auxiliaires précieux, parfois impérieux, pour parvenir au sens. N'en déplaise à Alfred de Musset...
Tous les personnages de ces nouvelles, qui appartiennent à une rêveuse bourgeoisie, ont pour point commun d'être des velléitaires. Hésitent-ils vraiment? Pas toujours, mais le résultat est le même. Ils prennent des décisions à rebours de ce qu'ils voulaient effectivement. Il faut se demander si ce n'est pas dû au fait qu'ils évoluent de plain pied dans notre époque.
Notre époque est propice aux projets qui n'aboutissent pas, aux renoncements subits qui ressemblent à des foucades. La technique aidant - il y a trois nouvelles où les sites de rencontre jouent un rôle -, les esprits et les corps vagabondent facilement d'une chose l'autre et n'arrivent pas à se fixer, ce qui nourrit leur frustration.
Laure Mi Hyun est aussi à l'aise dans la peau des femmes que des hommes. Ce qui lui permet d'éclairer d'une lumière crue et judicieuse les relations inachevées qu'ils entretiennent les unes avec les autres, leurs différences d'âge dans un sens comme dans l'autre étant toujours socialement mal admises. Car à ce sujet il existe encore bien des tabous...
Aussi le narrateur ou le protagoniste est-il dans ces nouvelles autant un homme qu'une femme. L'auteur trouve-t-elle amusant, comme l'un de ses personnages féminins, d'écrire des histoires au masculin parce qu'elle a cotôyé davantage d'hommes que de femmes ? En tout cas le même personnage féminin se propose d'écrire "un roman sur le quotidien de petites gens dans un style soutenu":
"Elle savait que sa formation académique transparaîtrait de toute façon dans son écriture et qu'il valait donc mieux l'assumer, en faire un atout, plutôt que d'essayer de la dissimuler. Il n'y avait aucune honte à maîtriser la langue française."
Cette description de style ressortit à l'autoportrait. Pour le plus grand bonheur du lecteur.
Francis Richard