Nous avons été élevés,
Mon frère et moi,
Par notre oncle l’abbé Gambois,
Nos parents étant décédés
Quand nous étions enfants.
Notre oncle était un curé osseux et grand.
Il nous éleva rudement,
Nous apprenant à trembler
Plus qu’à aimer.
Adolescents,
Il nous mit en pension.
J’y songe encore avec des frissons.
Oh ! les évangiles médités !
Les lectures pieuses aux diners !
Oh ! ces cérémonies sans fin !
La messe froide chaque matin !
Nous vivions là dans la piété forcée
Et aussi dans la saleté
Car on ne faisait laver les pieds aux enfants
Que les veilles de vacances, soit trois fois l’an.
À vingt ans,
Nous allâmes habiter à Paris.
Agents de bureau à la Mairie,
Nous gagnions chacun mille francs.
Peu à peu les bals, les amis
Nous ont légèrement dégourdis.
S’éveillèrent en mon frère et moi
Des désirs nouveaux, et ma foi
Un soir nous nous sommes laissés…
Pour bien dire…
Séduire
Par deux jeunes employées.
Un échange eut lieu entre les deux ménages,
Un partage.
Mon frère prit l’appartement des deux belles
Et garda l’une d’elles.
Je m’emparai de l’autre
Qui vint chez moi.
La mienne s’appelait Laure.
Elle avait vingt ans.
C’était une bonne fille, ma foi
Mon frère aussi était très content.
Vers une heure, une nuit,
On frappa à mon huis.
Je ne dormais pas,
Mais pas du tout à ce moment-là !
Laure me dit :
-Qu’est-ce que c’est ?
Je répondis :
-Je ne sais
On se trompe sans doute d’étage.
Nous nous assîmes dans notre lit-cage.
On ne se trompait pas ;
C’était bien à nous qu’on en voulait.
Je passais vite un pantalon,
Je mis mes chaussons,
Courus à la porte et demandai :
-Qui est là, que me veut-on ?
Une voix, celle de mon oncle, répondit :
-C’est moi, ouvre, nom de nom !
Je n’ai pas envie
De coucher là.
Après avoir dit à Laure : -Cache-toi !
Je le fis entrer : -Pourquoi
Ne m’ouvrais-tu pas ?
-Mon oncle, je dormais.
-Mais tu causais…
Pour éviter d’autres explications,
Je lui plaquai un gros baiser sur le front.
-Me voici
Pour quatre jours à Paris.
Tu vas me loger où tu voudras.
Nous retirerons de ton lit le matelas…
Mais où est ton frère ? Va l’éveiller !
-Jacques n’est pas rentré.
Il a, au bureau, un travail supplémentaire.
L’abbé vers la chambre se dirigeait.
Je lui sautais presque au collet :
-Non, mon oncle…Non, par ici.
Et je lui souris ;
Une idée venait de m’illuminer ;
J’ajoutai :
-Vous devez avoir faim, après ce voyage
Vous prendrez bien un bon potage.
Et je le poussai dans la cuisine ;
Mon oncle se lécha les babines.
Enfin il se leva. Je me sentais défaillir ;
Je voulus le retenir :
-Allons, mon oncle, un verre d’eau de vie !
-Non, cette fois, j’ai fini.
Voyons ton logement.
Je le suivais prestement.
Des frissons me couraient ipso facto
Dans le dos
Qu’allait-il arriver ?
Il entra dans la chambre à coucher…
Laure avait fermé les rideaux du lit.
-Nous n’allons pas nous coucher maintenant…
-Si, moi, j’ai besoin de dormir longtemps.
D’un seul coup, il tira le matelas !
Laure s’était roulée dans les draps.
Mon oncle s’écria :
-Ah ! ah ! plaisantin !
Vois comme je le réveille ton frangin !
Et je vis sa grosse main se lever
Puis retomber…
Sur les contours exposés devant lui.
Il y eut un terrible cri.
Laure se débattait, s’agitait
Réussit à se dégager.
Elle apparut nue, secouée.
Mon oncle recula, muet.
Je jugeai la situation trop grave pour l’affronter.
Je me sauvais avec célérité.
Je ne revins que deux jours après.
Laure était partie.
Jamais je ne la revis.
...Et mon oncle m’a déshérité !
Maud Cambronne
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Aux enfants, il faut laisser un bel héritage de conscience plutôt que d’or.
Platon
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