- Inauguration du portail de la photographie AraGo de la Rmn-Grand Palais par le Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, le 27 mars 2012 au Grand-Palais – Photo Daniel Hennemand
Le Ministère de la culture français vient d’inaugurer AraGo, un portail fédérateur dédié à l’identification et la représentation des fonds photographiques du patrimoine nationale (1). AraGo est un site élégant offrant cinq entrées à une base documentaire illustrée : auteurs, thèmes, techniques, collections, galerie, ressources. La mission d’ArGo est de
répertorier les fonds publics et également privés si les ayants droit en manifestent la volonté. Elle est d’offrir également une sélection d’œuvres représentatives de chacun d’eux avec une illustration et une indexation de qualité. Ce site est inauguré en 2012 mais on peut voir en AraGo un nouveau répertoire des « photothèques » à la manière du regretté annuaire Iconos qu’avait développé en son temps Geneviève Dieuzaide au sein de la Documentation Française / Interphotothèque.
Aujourd’hui, l’avantage certain est la présence d’une illustration et d’une documentation des œuvres qui n’existait pas dans cet ancien annuaire.
On annonce 17 000 œuvres, bientôt 30 000. Se voulant consensuelle, l’équipe du projet insiste sur une approche non pas purement iconographique mais documentaire privilégiant l’œuvre-objet, le négatif et ses liens avec les tirages multiples;
une approche scientifique donc, les deux aspects étant distincts sur chaque fiche documentaire. Une recherche en texte libre est cependant proposée où la saisie d’un mot comme « chien » renvoie naturellement à des photos … de chiens à travers les âges! Nous avons là également
une approche « agence photographique ».
Les auteurs du projet insistent bien sur le rôle informatif du portail qui ne se substituera aucunement – rassurez-nous – aux établissements détenteurs des collections dans leur rôle de diffuseur, particulièrement pour le contrôle de la commercialisation de fac-similés.
La sécurité est également mise en évidence, les reproductions sont verrouillées et leurs dimensions réduites d’une manière draconienne. La copie de fichier est interdite.
Passé cet enthousiasme, l’interrogation est multiple :
- AraGo deviendra-t-il un site multilingue ? Aujourd’hui, seul le français préside.
- AraGo diffuse des notices originales, cela soulève la question des synergies obligatoires entre les scientifiques gestionnaires des fonds et le portail fédérateur. On demande aux conservateurs de renseigner une liste de champs par œuvre, mais y a-t-il réversibilité? Un flux biunivoque devrait s’installer, mais de quelle nature et sous quelle norme s’établirait-t-il. Il faut voir ici l’intérêt de mettre en place une entité fédérative à condition qu’elle soit capable de
collaborer au traitement de fonds indépendants gérés par des établissements aux moyens limités. Sinon, en matière de photographie, comment pourra-t-on enfin voir s’établir
un esprit commun à toutes les campagnes d’indexation menées autant par un musée de la sculpture contemporaine et un autre musée de la mode et du costume?
- Arago deviendra-t-il un outil de
promotion des techniques de numérisation, d’indexation et de diffusion des œuvres photographiques – comme l’a inauguré le moteur « Collection »(2) ou bien restera-t-il un site de diffusion indépendant sans pouvoir réel de promotion de ces techniques auprès des établissements et des collections privées? Quels seront les liens avec la base Joconde? (3)
- Que deviennent les bases existantes, comme la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine / archives photographiques? (4). Seront-elles fédérées à AraGo?. Quels seront les liens avec d’autres bases illustrées nationales ou internationales (Gallica, Eureopeana, etc.) ? Devant la multiplicité des bases en ligne, on se prend à rêver à l’organisation d’une certaine homogénéité. Des passerelles restent à établir. Voir un début de grammaire dans la notice
Wikipedia « Modèle:Méta base Culture » (5).
- Pourquoi au niveau de la monstration numérique, c’est-à-dire de la diffusion, cette nouvelle représentation du patrimoine national n’utilise-t-il pas des
standards reconnus depuis vingt-cinq ans, l’
IPTC, pour
diffuser des objets certifiés tant au niveau de la documentation de l’œuvre que de l’
identification des ayants-droit?
Pour rassurer, les auteurs du projet ont préféré réduire les dimensions des reproductions et interdire leur enregistrement afin de se prémunir du piratage. C’est une position d’une autre époque : « je diffuse en interdisant l’impression », alors que le postulat du Web est depuis longtemps : «
je montre donc je diffuse« .
Aucune mesure de protection n’est efficace à partir du moment où le document est électroniquement publié. Seule l’information et la mise en garde des consultants, potentiels utilisateurs, est possible et nécessaire.
La diffusion sur le réseau équivaut à une publication.
Réduire les reproductions et viser à se protéger de l’ancien monde de l’édition « papier » n’a qu’un sens très restreint aujourd’hui. Une image dématérialisée est liée à une somme d’informations numériques – nous parlons de poids de fichier -. Pour imprimer à l’aide des techniques anciennes de l’offset, un poids important est nécessaire (6). La reproduction à l’aide des techniques dites à jet d’encre requière deux fois moins d’information. L’affichage, donc la consultation sur un écran, quatre fois moins. Nous savons que l’
édition traditionnelle décroit chaque jour alors que l’
« impression » à l’écran explose.
Verrouiller un affichage électronique n’est pas souhaitable dans le sens où
le consultant fera de toutes manières une copie d’écran. Aucun système ne peut l’interdire, pas même AraGo. On constate alors un effet assez dommageable pour le détenteur ou diffuseur du fonds photographique, des
copies d’écran anonymes – sans aucune information liée ou contenue – sont multipliées et diffusées sur le Web (7).
A contrario, une
copie numérique au poids certes limité mais au contenu documentaire
certifié, donne une certaine
garantie quant au respect de l’identité des ayants droit et de l’information documentaire nécessaire à la compréhension de l’œuvre (8).
Le portail AroGo est magnifique, mais la sécurisation est à l’opposé de ce qui apparaît raisonnable aujourd’hui. De surcroît, les fichiers obtenus par copie d’écran permettent des impressions de qualité honorable d’environ 20 x 15 cm! (9)
Le patrimoine doit être montré avec toutes les précautions nécessaires, mais ceci doit être fait en intégrant la réalité de ce nouveau monde en réseau. Le ministère devrait affilier AraGo aux Commons présents sur Flickr? (10). L’image du patrimoine de la France doit-elle rester encore longtemps en deçà et se considérer à part des autres institutions comme la bibliothèque du Congrès américain ou de la
George Eastman House?
Ce projet élaboré dans l’urgence pour rassurer la communauté des photographes professionnels est séduisant, l’interface élégante. Cependant au vu de la diversité des politiques de gestion des œuvres et de la diminution des ressources, tout en souhaitant un plein succès à ce projet, on ne peut qu’être inquiet.
Le projet français de la diffusion numérique n’est pas réglé car il inquiète toujours les scientifiques dans leur conscience et leur volonté d’indépendance.
Daniel Hennemand
v1.1
(1) Vous trouverez toutes les informations officielles sur la page d’accueil de ce site http://www.photo-arago.fr et sur la page d’annonce du Ministère : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Actualites/Dossiers/Arago-Le-portail-de-la-photographie/(language)/fre-FR
Moteur Collections
(2) Moteur Collection : http://collections.culture.fr
Document Joconde: fiche documentaire
(3) http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm
Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine, page de présentation
(4) http://www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr/fr/archives_photo/index.html
Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine, présentation de l'œuvre de Roger Corbeau
(4bis) http://www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr/fr/archives_photo/visites_guidees/corbeau.html
Document Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine : fiche documentaire
(4ter) http://www.mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr/fr/archives_photo/index.html
(5)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Modèle:Méta_base_Culture
Base de la BNF : http://gallica.bnf.fr
Projet européen : http://www.europeana.eu/portal
(6) Pour un format A4 (21×29,7), un fichier de 24 Mo. est nécessaire (3 couleurs/résolution 300dpi)
(7) Un fichier réalisé en copie d’écran sur AraGo ne contient évidemment aucune métadonnée; cela devient un fichier muet et anonyme.
Document Corbis
Métadonnées Corbis visualisées avec Photoshop CS5.5
(8) Fiche documentaire de l’agence Corbis (photo Christian Simonpiétri/Sygma/Corbis). A partir du fichier image facilement copiable (glissé/déposé), les informations contenues dans le fichier aident à l’identification du document une fois celui-ci sorti du contexte de la base. http://www.corbisimages.com
Reproduction par copie d'écran des images du portail photographie AraGo
(9) Impressions d’écrans réalisés à partir du portail AraGo, technique jet d’encre sur papier archive
Epson.
(10) Liste des institutions collaborant au projet Commons :
http://www.flickr.com/commons/institutions
http://gallica.bnf.fr
http://www.europeana.eu/portal