Un successeur de Tocqueville
Gustave Le Bon semble reprendre la pensée de Tocqueville là où ce dernier l’a laissée. Que peut donner un gouvernement par la masse ? Les foules ont le pouvoir désormais, or, jusqu’ici leur rôle n’était que destructeur.
La foule
Le Bon décrit la foule comme un être « primitif ». L’homme, quel qu’il soit, y perd sont individualité et y gagne une « âme collective ». Il est « hypnotisé », il entre en « religion ».
La foule ne régit donc pas à la raison, au contraire, mais au « cas particulier », à ce qui frappe son imagination, ou plutôt ses sentiments. Le plus « invraisemblable », le mieux. C’est la forme et pas le fond qui l’impressionne.
Ne connaissant pas la raison, donc la mesure, elle est capable des sentiments les plus viles et des plus nobles, toujours « excessifs ».
En fait, sur le long terme, elle est guidée par ce que Montesquieu aurait appelé « l’esprit des lois », c'est-à-dire les principes fondateurs de la culture nationale. Ils se modifient très rarement, car seulement à la suite d’expériences dramatiques répétées. En ce sens la foule est « conservatrice ». En ce sens aussi, « l’intelligence », qui finit par avoir le dernier mot, « guide le monde ». Mais pour cela elle prend des chemins bien détournés.
Le meneur
La foule ne peut évoluer sans meneur. Le livre semble avoir été écrit avec Hitler en tête !
Le meneur est un hypnotiseur, lui-même « hypnotisé » par une obsession. Il ne raisonne pas, c’est un homme d’action qui obéit à une « conviction ». Il est « névrosé », « excité », « à moitié aliéné », il court après le « martyr ».
Il convainc la foule par « affirmation, répétition, contagion ». La foule ayant besoin d’un Dieu, il doit inspirer une crainte admirative. Pour cela il doit acquérir du « prestige ».
Vie et mort des sociétés
Le texte s’achève par une réflexion sur les peuples et leur histoire :
Passer de la barbarie à la civilisation en poursuivant un rêve, puis décliner et mourir dès que ce rêve a perdu sa force, tel est le cycle de vie d’un peuple.L’histoire d’une société est celle d’un idéal qui parvient à fédérer un groupe d’individus. Après une sorte de phase libérale, l’affaiblissement de l’idéal appelle le renfort de l’État afin de maintenir l’équilibre collectif. Finalement, l’idéal s’épuise et le peuple redevient foule.
Critique
Nous aussi, nous vivons à l’ère des foules. Du Tea Party aux printemps arabes, elles font trembler le monde. Lien de cause à effet ? Les gouvernants mondiaux semblent tentés de ne plus parler à nos raisons. Bravo Le Bon ?
On peut faire, cependant, deux reproches à ce texte
- Il semble totalement ignorer la pensée grecque. Pourtant elle a abordé son sujet en détails. Elle considère la foule comme une pathologie sociale, liée au populisme, non comme un état naturel de la société.
- Il n’y a pas que le meneur qui ait du pouvoir sur les « foules », mais aussi ce que les Anglo-saxons, et les sciences du management, appellent le « leader ». Il utilise les règles collectives, comme le meneur, mais pour faire l’intérêt général. Et ce n’est pas un illuminé. Par ailleurs, le « mode projet » et d’autres techniques du même type montrent que le groupe peut-être infiniment plus intelligent que ses composants, contrairement à ce que dit Le Bon.