Colloque organisé par l’Université Paris-I - PhiCo (Philosophies contemporaines)
Depuis quelques années, avec la sociologie des sciences, l’anthropologie de la nature, et surtout avec l’éthique environnementale, la philosophie conteste aux «sciences dures» le monopole du discours sur la nature. Mais en opposant au rationalisme technicien l’idée d’une valeur en soi de la nature, elle s’expose à des soupçons récurrents de religiosité – on lui reproche en particulier de «sacraliser la nature».
En refusant l’assujettissement technique de la nature comme simple ressource à notre usage, en invitant à un décentrement du sujet humain, l’écologie constitue-t-elle forcément une invitation à renouer avec une vision religieuse du monde? Accorder une valeur en soi à la nature revient-il au même que de la considérer comme sacrée? Sur le terrain de la protection de la nature, quelles seraient les conséquences pratiques d’une telle sacralisation?
Le colloque «Y a-t-il du sacré dans la nature ?» rouvre la question philosophique de la nature, et la repense à la lumière de la crise environnementale. A travers les savoirs de l’écologie, des sciences humaines et des religions, il veut mettre au jour la teneur religieuse de la pensée écologique, et en analyser la signification.
Les 27-28 avril 2012
Centre Panthéon
Présidence, salle 2,
12 place du Panthéon, 75005 Paris.
Entrée libre.
Programme
Vendredi 27 avril : Ecologie et spiritualité. Contenu écologique des religions, puissance spirituelle de l’écologie.
- 9h : accueil des participants.
- 9h15 : ouverture.
Religions
- 9h30 : Christophe Boureux: «Le proche et le sacré chrétien: les entités non-humaines en attente de reconnaissance.»
- 10h10 : Stéphane Lavignotte: «La surprise éthique, forme post-moderne du sacré de la nature?»
- 11h10 : Donato Bergandi: «Le sacré, la religion et l’écologie: quand la métaphysique, la science et l’éthique se rencontrent».
- 11h50 : Roger Gottlieb: «If nature is sacred, what are we?»
- 12h30-13h: discussion
Ethique, esthétique
- 14h30 : Eric Pommier: «Ethique et religion de la vie chez Hans Jonas».
- 15h10 : Alain Cugno: «Le don de la nature, dévoilement ambigu du sacré».
- 15h50 : Jean-Claude Genot: «De la protection à la gestion, entre nature maîtrisée et nature méprisée».
- 16h30-17h30: discussion
Samedi 28 avril: La reconstruction d’un concept de nature peut-elle se faire sans le sacré?
- 9h15: accueil des participants.
Anthropologies
- 9h30 : Périg Pitrou: «Comment penser, du point de vue de l’anthropologie, la relation à la nature sans faire référence au sacré?»
- 10h10 : Augustin Berque: «Logos, lemme et fengshui: les formes logiques du sacré dans la nature».
- 11h10 : Jean-Philippe Pierron: «Hiérophanies séculières. Une expérience spirituelle de la nature?»
- 11h50 : Emilie Hache: «Ontologies du sacré» (titre provisoire)
- 12h30-13h : discussion
Perspectives contemporaines
- 14h30 : Pierre Charbonnier: «La pensée écologique comme héritage problématique du rationalisme».
- 15h10 : Catherine Thomas: «La dimension sacrée des expériences encouragées en écopsychologie».
- 15h50 : Catherine Larrère: «La nature, la science et le sacré».
- 16h30-17h30 : discussion
Appel à participation
L’idée est assez largement répandue : l’écologie serait, aujourd’hui, la nouvelle religion. Ce culte de la Terre Mère prendrait des formes diverses : le catastrophisme issu de Hans Jonas, l’écosophie holiste d’Arne Naess, l’hypothèse Gaïa, et bien des fantaisies spirituelles alternatives, fascinées par le modèle exotique des religions lointaines et l’idée d’une communion avec l’origine.Dans tous ces cas, la pensée écologique marquerait la résurgence d’une religion régressive, obscurantiste et antihumaniste, qui s’appuie sur la culpabilité et la crainte et construit des récits apocalyptiques sur la base de données scientifiques incertaines. Lancée par l’Appel d’Heidelberg (1992, au moment du sommet de la Terre à Rio), l’idée a été reprise par certains scientifiques (comme Claude Allègre) qui se sont donné pour tâche de dénoncer l’imposture de l’écologie en pointant la religiosité, l’irrationalité, de cette conception du monde : non, objectent écosceptiques ou écocritiques, la nature n’est pas sacrée, et c’est aller à l’encontre de l’humanisme occidental que d’attaquer l’industrie, la technologie et la science, au nom de la nature et de sa sauvegarde.
L’accusation peut paraître excessive, et même absurde : l’écologie n’est-elle pas davantage affaire de position scientifique que de spiritualité ? Elle pointe cependant vers un certain penchant de la pensée écologique, qui mériterait d’être analysé. Ne peut-on discerner, au-delà des stigmatisations hostiles, une tendance profonde, qui toucherait au renouvellement du fait religieux, comme à celui de l’idée de nature ?
La modernité, en effet, avait fait de la nature une question principalement scientifique, et les transformations de la physique du début du XXe siècle comme celles, peu après, d’une philosophie plus préoccupée d’analyser le langage que d’interroger les fondements métaphysiques des choses, avaient semblé reléguer la nature au musée des imaginations. La crise environnementale a mis en cause ce monopole des « sciences dures » sur la nature et replacé celle-ci au centre de la réflexion. La sociologie des sciences, l’anthropologie ont posé la question de la dimension sociale de notre rapport à la nature, et de la diversité des conceptions que nous pouvons en avoir. Les éthiques environnementales se sont refusé à voir dans la nature un simple réservoir de ressources à notre disposition, et ont parlé de valeur intrinsèque. Attribuer à la nature une valeur propre, reconnaître sa dignité, appeler à défendre son intégrité, est-ce sacraliser la nature ? Et, s’il en est ainsi, qu’est-ce que cela veut dire ?
Nous nous proposons d’évaluer la « sacralisation » de la nature qui semble ainsi se faire jour en tentant d’en estimer l’ampleur, la pertinence et la portée. La question des rapports entre écologie et religion n’est certes pas neuve. Deux colloques internationaux, notamment, ont tout récemment précédé le nôtre. A Lausanne en juin 2009 (dir. D. Bourg), et à Venise en septembre 2010 (dir. B. Latour), des philosophes, anthropologues et théologiens ont exploré différentes religions, sagesses et spiritualités occidentales et orientales pour en dévoiler le contenu écologique latent, c'est-à-dire la conception particulière qu’elles ont de la nature et des relations que l’humanité doit entretenir avec elle. Ils se sont demandé si l’on pouvait mettre les passions religieuses au service de la cause écologique. Nous prenons les choses en sens inverse : nous ne voulons pas juger du contenu écologique des religions et des spiritualités, mais du contenu religieux et spirituel de l’écologie.
Dire qu’il y a du sacré dans la nature, ou même que la nature est sacrée, cela a-t-il une signification religieuse ? Ne faut-il pas distinguer entre le religieux et le sacré ? Nous nous adressons à tous ceux que ces questions intéressent non seulement d’un point de vue théorique, mais également pratique. Quelles sont les implications pratiques, quant à la protection de la nature, d’une telle sacralisation ? Est-il plus facile de protéger une nature « sacrée » ? Cela implique-t-il certaines formes de protection de la nature, à l’exclusion d’autres ? Quel rôle la sacralisation de la nature peut-elle jouer dans les politiques environnementales et dans le débat public ?
Nous nous adressons donc à tous ceux, philosophes, sociologues, anthropologues, historiens, théologiens…, qu’intéressent la dimension religieuse, ou spirituelle de la pensée écologique, et qui s’interrogent sur la signification actuelle d’une éventuelle sacralisation de la nature.
Responsables
Catherine Larrère, Université Paris-I - PhiCo
Baptiste Lanaspèze, éditions Wildproject
Bérengère Hurand, Académie de Paris