Le Monde s'interroge en ces termes : "A j-10 du premier tour, peut-on lire dans le marc des sondages ?". C'est qu'à défaut d'un vrai débat d'idées dans cette campagne électorale, il ne reste plus qu'à faire parler les chiffres auxquels, c'est bien connu, on peut faire dire ce que l'on veut. Si dans un premier temps, François Hollande était donné vainqueur dans les sondages, il y eut heureusement pour certains le push poll réalisé le 12 mars par l'IFOP, qui donnait Nicolas Sarkozy en tête des intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle. Et depuis, chacun brode autour de ces chiffres comme s'il se passait enfin quelque chose dans cette campagne présidentielle qui frôle le vide cosmique...
Or, le législateur a depuis longtemps compris l'influence que pouvaient avoir ces sondages et a ainsi édicté, en 1977 puis en 2002, les dispositions nécessaires pour que "la publication des sondages électoraux portants sur des intentions de vote ne vienne pas influencer ou perturber la libre détermination du corps électoral". De plus, la loi exige que la publication ou la diffusion des sondages électoraux soit accompagnée d'indications précises sur les conditions d'élaboration du sondage notamment. Il est en outre interdit de publier, diffuser ou commenter un sondage la veille et le jour de chaque tour de scrutin. Enfin, une commission des sondages fut créée pour surveiller l'application de la loi, d'autant que le législateur ne définit pas ce qu'est un sondage...
C'est précisément cette dernière qui vient de publier un communiqué le 28 mars 2012 pour recommander la prudence avec les sondages réalisés sur internet. Au demeurant, le débat fait rage depuis longtemps sur la représentativité des échantillons employés dans les sondages en ligne : s'agit-il d'une méthodologie scientifique ou d'un simple vote de paille ? Comme l'explique Alain Garrigou, les personnes qui répondent aux enquêtes en ligne sont souvent plus politisées que la moyenne et touchent fréquemment une rémunération pour leur réponse !
De manière générale, ce qui me dérange avec les sondages, qu'ils soient en ligne ou non du reste, c'est que nous ne disposons jamais des résultats bruts mais de chiffres redressés, c'est-à-dire qui sont corrigés selon une méthode tenue secrète pour tenir compte des surévaluations et des mensonges par exemple. On pourrait également se demander ce que valent des sondages réalisés en mixant enquêtes par téléphone et enquêtes sur internet... Enfin, et c'est probablement le pire, cette opinion qui est sondée, existe-t-elle réellement pour reprendre une problématique de Pierre Bourdieu ? En fait d'une photographie de l'opinion à un instant donné (phrase bateau répétée à satiété par les instituts de sondages), le sondage ne crée-t-il pas sa propre opinion en suggérant des réponses à des questions que les sondés ne se posent pas forcément ?
Et pendant que les uns vendent des articles d'une vacuité absolue et les autres se prennent pour des oracles, on passe tranquillement à côté des vrais questions : le chômage ne cesse d'augmenter, les liquidités déversées par la BCE dans la zone euro n'ont même pas suffi à calmer plus que quelques jours la spéculation sur l'Espagne, le mal logement s'est développé et ancré dans la société française, les droits sociaux sont de plus en plus rognés au nom de la compétitivité, les dirigeants politiques des grands partis politiques parlent tous de rigueur sans comprendre que réduire les dépenses sans perspective de croissance tuera l'économie comme en Grèce, etc. Dans la catégorie analystes payés à prix d'or pour brasser du vent, j'ai encore oublié les experts en chiffrage des programmes électoraux. Pourtant, Jean-Paul Fitoussi, alors président de l'OFCE en 2007, avait publié un manifeste où il expliquait que cela revenait à identifier un projet politique à sa valeur budgétaire, alors même "qu'une telle perspective est non seulement trompeuse, mais contraire aux exigences minimales de la déontologie économique"...
Même en dehors de la campagne électorale, nous ne pouvons que constater la pauvreté du débat économique proposé aujourd’hui dans les médias, comme s’il existait in fine un consensus sur les réponses à apporter aux problèmes actuels. Petit à petit, nous avons abandonné le débat public à une « expertocratie » qui décide, en dehors de tout cadre démocratique, des réponses à apporter aux questions économiques, comme si nous désirions éviter que soient soulevées ces bonnes questions.
Pourtant nous ne devons pas accepter sans nous RÉVOLTER qu’une minorité soit gagnante et que la grande majorité soit celle des perdants économiques ! Cette résignation est absurde, en pleine démocratie, tant il y a de possibilités de réformes intelligentes et constructives qui s’offrent à nous ! C'est ce sens critique que je cherche à développer chez les auditeurs de mes conférences et cafés économiques, afin que les citoyens puissent récupérer le débat public, le décrypter, distinguer les véritables enjeux des simples effets de manche de la communication politique pour poser des diagnostics et tenter d’apporter ensuite une vraie réponse démocratique.
C'est aussi tout l'objet de mon dictionnaire révolté d'économie, paru aux éditions Bréal, qui permet de découvrir à travers une écriture simple et sans langue de bois ce que chacun doit savoir du monde économique dans lequel nous évoluons et tout ce que l’on ne nous dit pas ! Pour en parler, j'ai été l'invité de l'émission entre les lignes de Mosaïk, où pendant plus de 20 minutes j'ai répondu aux question de Marie-Anne Gabriel (des extraits du livre sont cités, que vous pouvez également retrouver sur la page Facebook du livre) :
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