La réforme que François Bayrou propose sur les retraites permet la pérennisation de notre modèle social (par répartition) tout en renforçant la justice vis-à-vis de chacun et aussi la liberté de faire ce qu’on veut de sa vie.
Parlons des retraites.
L’un des points qui m’afflige dans le débat sur les retraites, et notamment depuis la réforme des retraites de 2010, c’est à quel point on cherche à faire diversion sur de faux clivages. L’âge légal de la retraite est un sujet exemplaire à cet égard.
Il est très illogique de vouloir légiférer à la fois sur l’âge légal de la retraite et sur le nombre minimal de trimestres de cotisation. Pour la simple raison que personne ne commence à travailler au même moment dans la vie et certains parcours ne sont pas forcément identiques (tel salarié devient entrepreneur, tel autre s’arrête de travailler pour s’occuper de sa famille etc.).
Tous ces débats sur l’âge légal à 60 ans ou à 62 ans sont donc sans objet et n’ont pour seul but que de cliver artificiellement avec des vieux leurres idéologiques. La retraite à 60 ans étant une mesure de gauche (François Mitterrand), le réhaussement de l’âge de la retraite à 62 ans ne serait qu’une mesure de droite (il était de 65 ans avant Mitterrand). Pourtant, notons que pendant les trente années que le PS ou le RPR puis UMP ont été au pouvoir depuis 1981, aucun gouvernement jusqu’en 2010 n’avait remis en cause cet âge de 60 ans.
Or le clivage sur l’âge légal est un faux débat et masque un élément majeur très encourageant : il y a une quasi-unanimité toujours aujourd’hui pour préserver le modèle social français et en particulier le principe des retraites par répartition où il s’agit aux générations actives d’être solidaires avec les générations précédentes qui sont à la retraite.
Les crises financières depuis 2008, et même déjà la fin de la bulle sur les télécommunications au début des années 2000, ont montré la pertinence d’un tel système qui assure dans tous les cas la retraite des plus âgés. Alors qu’une retraite par capitalisation pourrait devenir critique en cas de crise ; aux États-Unis, beaucoup de retraités n’ont quasiment plus de pension et ont été ruinés par la crise.
Mais dans ce consensus national heureux du maintien de notre modèle social, il y a des divergences sur les mesures à prendre. En somme, les restrictions à prendre.
Ce n’est pas une nouveauté de dire qu’il y a depuis longtemps des soucis dans le financement du système actuel pour de nombreuses raisons dont la principale est heureuse puisqu’il s’agit d’un allongement régulier de l’espérance de vie. On meurt plus vieux, donc on reste plus longtemps retraité, donc, cela coûte plus cher. À cela s’ajoute l’arrivée à la retraite des gros bataillons du baby boom et la baisse de la natalité pour les générations actuellement actives.
Michel Rocard avait parlé d’un sujet qui ferait chuter dix gouvernements alors qu’il avait publié le 24 avril 1991 un livre blanc sur les retraites quand il était à Matignon. Beaucoup de gouvernements ont refusé de s’attaquer au problème. Le gouvernement Jospin porte par exemple une grave responsabilité sur ce retard prévisible en ayant refusé l’impopularité de la réforme avant l’élection présidentielle de 2002 alors qu’il avait cinq ans devant lui en 1997 (les électeurs lui ont donné ce qu’il méritait à l’époque).
Les gouvernements Raffarin puis les gouvernements Fillon ont fait trois réformes du système des retraites avec une méthode contestable (peu de consultations avec les organisations sociales) et de manière insuffisante (le système n’est pas sauvé).
Il n’y a que trois leviers pour adapter le système : augmenter la durée des cotisations, augmenter les charges sur les salaires (patronales ou salariales) ou/et diminuer le niveau des pensions (par un calcul plus strict comme le nombre d’années à prendre en compte). D’autres proposent des taxes supplémentaires et indépendantes pour résorber les déficits structuraux des caisses de retraite (le fameux "faire payer les riches").
Comme on le voit, l’âge légal n’a pas sa place logique car ce qui compte, c’est combien de temps on a cotisé et combien d’euros on pourra recevoir chaque mois en prenant sa retraite. Le seul problème se pose pour ceux qui ont commencé très tôt (avant 18 ans) et qui ont déjà atteint leur nombre de trimestres de cotisation avant d’atteindre ce fameux âge légal. Ceux-là ont bénéficié de mesures adaptées dès la réforme Fillon sous Raffarin.
Ce que propose François Bayrou est assez simple et très rationnel. Il est inspiré d’un principe de grande liberté : il n’y aura plus d’âge légal pour prendre sa retraite. En clair, on prendra sa retraite quand on voudra.
Alors, évidemment, c’est l’objectif vers quoi on tendra et il y aura forcément une période transitoire pour l’atteindre.
Ce qu’il y aura, c’est un dispositif qui fixe clairement quelle sera la pension de retraite en fonction du nombre de trimestres cotisés. Évidemment, en dessous d’un certain seuil (quarante-deux années par exemple), le niveau des pensions sera très faible afin de dissuader de prendre sa retraite trop tôt (à ce sujet, demandez au candidat Hollande quel sera le taux d’une retraite à l’âge de 60 ans qu’il prétend rétablir).
A contrario, une personne qui aime son travail et qui n’est pas encore trop fatiguée pourrait poursuivre son parcours professionnel plus longtemps avec une perspective de pension nettement plus élevée que le taux normal.
En 2009, le gouvernement a même fait adopter une loi très coûteuse aux entreprises puisque tout salarié a le droit de rester à son poste jusqu’à l’âge de 70 ans s’il le souhaite et si son employeur ne le veut pas, il faudra alors qu’il le licencie. Très coûteux aussi pour le chômage des jeunes puisque pendant ce temps, aucun poste ne peut se libérer.
François Bayrou propose de faire simplement une retraite à la carte, libre pour tous, avec un système de points transparents et avec une information accessible clairement à tous les salariés sur leur situation à un instant donné : combien de trimestres déjà cotisés ? quels salaires pris en compte dans le calcul ? combien de points accumulés correspondant à la pension d’une éventuelle retraite prise immédiatement ? Avec une valeur de point évaluée chaque année par indexation et peut-être un nombre de points par trimestre différent en fonction de la pénibilité et d’autres considérations plus spécifiques à chaque emploi ou chaque situation.
Dans son projet présidentiel, François Bayrou est très clair sur les perspectives : « La réforme du régime des retraites n’est pas achevée. Un pas a été fait mais on n’est pas au bout du chemin, en terme de financement comme de justice, en particulier pour la prise en compte de la pénibilité et de la situation des femmes. ».
François Bayrou propose donc un régime fondé sur des droits individuels acquis par le salarié et il y voit quatre avantages :
1. L’équilibre entre cotisations et pensions à terme.
2. La transparence grâce à l’information que pourra obtenir le salarié à tout moment.
3. La justice puisque ce régime prendra en compte les spécificités de chaque carrière (pénibilité, années sabbatiques etc.).
4. Et surtout, la liberté, car chacun pourra prendre sa retraite quand il le voudra en fonction de sa vie personnelle, le cas échéant en rachetant des points manquants.
Par ailleurs, François Bayrou veut revaloriser les petites retraites (conjoints d’entrepreneurs et de commerçants, agriculteurs etc.) dans une loi-cadre sur le sujet. Il est à noter que cette revalorisation a déjà commencé sous le quinquennat qui s’achève (Nicolas Sarkozy ayant relevé le minimum vieillesse comme il s’y était engagé en 2007).
Pour résumer, François Bayrou veut maintenir et surtout pérenniser le système de retraite par répartition en instaurant un système par points acquis par chaque salarié et des droits à la retraite dans un régime beaucoup plus souple qu’actuellement et seule comptera la relation entre le nombre de points acquis et le niveau de la pension.
C’est un système simple, qui a le mérite d’atteindre l’objectif quasi-unanime du modèle social français par répartition et surtout, et c’est très nouveau, c’est un système qui apporte une inestimable liberté à la vie de chacun, celle de travailler plus ou moins en fonction de ses impératifs personnels. Alors que jusqu’à maintenant, cette liberté était réservée aux plus aisés qui pouvaient compenser leurs pensions par une part par capitalisation.
Justice sociale (prise en compte des moins privilégiés du travail) et liberté pour tous… Franchement, que demander d’autre ? Encore des polémiques stériles sur un âge légal arbitraire et sans objet dans le simple but de cliver d’un côté et de l’autre ? Pas pour moi, non merci !