Péripéties d'un lecteur de romans - partie III

Par Alainlasverne @AlainLasverne

ujourd'hui, j'ai compris au moins une chose. Il n'y a rien d'obligatoire. Si cela vous semble si évident, demandez-vous combien de fois vous êtes entré dans un livre sans avoir reçu une quelconque injonction quant à la nécessité de sa lecture. Votre journal, votre magazine, votre voisin, votre ami(e) et vos favoris – dont votre serviteur, parfois, je le confesse – conspirent à optimiser votre liberté en la plaçant sur les bons rails. Il en de même pour la lecture elle-même. Il n'est pas interdit de prendre un livre à la page 125, même s'il en compte 126. Mais il serait du dernier mauvais goût de le faire.

Personnellement, je ne le fais jamais. Sauf pour relire une fin, par exemple, la fin de « Le vent », de Claude Simon, que j'apprécie tout particulièrement. Après, je reviens au début. Mais pas toujours.

La lecture, comme l'écriture n'ont pas de règle définie et celles qui sont avancées ne sont que des rationalisations a posteriori. Pourquoi un auteur ne s'amuserait-il pas à recommencer son livre quatre fois, dans le même ouvrage ?...Je n'ose imaginer les économies de matière grise et de sueur pour l'auteur, sans parler des ouvertures au lecteur. On rentrerait dans ce livre comme dans du gruyère.

Le sens de la lecture est linéaire, l'esprit, la mémoire ne le sont pas. La conscience est conscience de soi et du présent, sans cesser d'être habitée par les autres et le passé. Ainsi, je m’arrête de lire et je regarde en moi quelques instants, avant de reprendre pour m'interrompre aussitôt car je me suis aperçu qu'un des personnages au début du roman, avec ce singulier chapeau, me rappelait la femme qui présentait un petit cirque où m'on père m'avait emmené, enfant. Les qualificatifs utilisées pour le chapeau, l'auteur les avait repris pour la femme, ou plutôt l'inverse. Je ne vous dirais pas comment ni pourquoi cette association intertextuelle a fleuri. La merveille de la lecture est là. Elle crée de l'espace sémantique supplémentaire dans le texte lui-même. Elle génère des trous et des tuyaux, où nous pouvons emmener et faire circuler nos propres provisions de sens.

Par une germination ultra-rapide nos denrées, notre « texte » à nous croit, interfère, prospère et se mélange avec le sens initial. Et différent sont les itinéraires, différents sont sans doute les mélanges. Quelque part au milieu de cette table qu'est un livre, à l'intersection de nos sensibilités et du sens du texte se tient la réalité du texte. Elle est donc différente suivant les personnes.

A chacun de bâtir la sienne. Si elle est belle et forte il la gardera, puis aura envie de la partager. Et d'un livre nous ferons une réalité commune mais adaptée à chacun.

La liberté ne s'use pas quand on s'en sert, elle s'amuse.