Trois ans qu’il tourne, avec quelques éclipses, son «Traîne pas trop sous la pluie...», et son succès ne se dément pas. Peut-être parce qu’en se mettant à nu, il sait mettre le public à l’aise d’emblée, et émailler d’anecdotes, de digressions et de coups de sang les lectures d’extraits de ses deux principaux livres, «C’est beau une ville la nuit» et celui qui a donné son nom au spectacle. Un spectacle beau, rude et drôle. Comme l’homme.
On vous a vu à Villenave-d’Ornon il y a quelques mois, et vous revenez jouer samedi à Ambès. ça vous plaît de jouer dans de petites salles ?
Évidemment que ça me plaît, c’est un choix ! Je n’attends aucun honneur personnel en faisant ce spectacle, je le fais pour me raconter à l’intérieur de la société – pas, paradoxalement, dans les grandes salles, qui sont un peu périphériques de la société.
Vous voulez dire que Bordeaux vous aurait... mal reçu ?
Non, pas tout Bordeaux, mais ce que je dis, c’est que c’est pas évident que la belle société de Bordeaux soit venue me voir. J’ai pas trop la cote avec ces gens-là. Sûrement parce que j’ai une langue internationale assez colorée. Parce que j’ai été élevé en Afrique, dans le Tiers-Monde, quoi. Et la belle société, elle s’en fout, de ça, du Tiers-Monde. En Afrique comme ici, en France ! Regardez nos politiques : ils n’en parlent jamais de ça, de cette pauvreté partout. ça me met hors de moi de les entendre parler de permis de conduire dans leurs programmes électoraux. On s’en b... ! Y a pas des choses plus urgentes à régler ? Avec quel pognon ils vont acheter une bagnole, les mômes, s’ils n’ont pas de boulot ?
Vous êtes connu pour vos coups de gueule – comme à l’instant –, y compris sur scène, alors que «Traîne pas...» est un spectacle écrit.
Oui, mais c’est bien, c’est un spectacle qui bouge, avec bonheur. Un «objet vivant», comme les chevaux, jamais vraiment dressé. Je l’apprivoise, je le domestique, mais je dois le tenir avec toute ma force de caractère, toute ma vigilance émotionnelle, amoureuse, pour pas qu’il taille la route. Ce spectacle, il s’est construit avec l’homme, mais maintenant j’en suis juste le compagnon, il est indépendant, il existe tout seul. Après, ce qui transparaît toujours de moi, c’est l’amour que j’ai pour les gens : tout ce que j’ai, je le dois au public, et rien ne me tire autant les larmes de bonheur que les sourires des gens après le spectacle. Pas le sourire de membre de fan club, non. Celui des jeunes, par exemple, avec qui il se passe un truc sur scène, parce que je crois que ce texte arrive à leur donner l’envie de pérenniser leur passion.
Vous avez souffert de complications d’une grave maladie (l’hépatite C, ndlr). ça n’a pas été trop dur de remonter sur scène ?
Oh, tu sais, ça a duré plusieurs années. J’ai été opéré de deux cancers, et la chimio a bien failli me tuer. Mais là, ça va mieux, j’ai repris la route, j’ai même enchaîné trois films – ça faisait longtemps... Et je remonterai encore sur les planches à la fin de l’année, pour une pièce que je jouerai avec ma fille. C’est génial ! Alors ça repart, mais ça a pas été facile. J’ai pas eu beaucoup de fidèles durant cette période. Dans le milieu, tous mes vieux potes sont partis : Léotard, Giraudeau, Villeret, Mano Solo... Et là, je viens de perdre Claude Miller... Et puis aussi Jean-Marc, un pote de la rue. C’est dur. Qu’est-ce que j’aurais été gâté s’ils avaient été encore là ! Mais non, y avait personne. Ce qu’il faut savoir, c’est que le cinéma n’est pas une grande famille. Une fois qu’on le sait, on se fait des potes ailleurs, et tout va bien. •
Recueilli par Sébastien Le Jeune
Dès 14 ans. Samedi, à 20h30, à l’Espace des 2 Rives, à Ambès, 12€. Tél. 05 56 77 82 95.