La Vida Util (Federico Veiroj, 2012)

Par Mg

Second long-métrage du jeune cinéaste uruguayen Federico Veiroj, La vida útil nous prévient par un carton malicieux dès l’ouverture : le film n’est pas basé sur des faits réels ! Il ne s’agit pas, comme d’ordinaire, de se prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires, mais bien de rassurer d’emblée les spectateurs : la cinémathèque de Montevideo n’a pas fermé ses portes ! Car c’est bien ce scénario catastrophe (évoqué à travers moult références aux genres hollywoodiens) qui est envisagé ici, dans cette déclaration d’amour et hommage au cinéma, art difficile sans cesse sous perfusion des apports financiers. La confiance et la bonne humeur règnent toutefois dans cette œuvre issue d’un pays où la production est loin d’être pléthorique : le site de la cinémathèque uruguayenne, justement, recense une centaine de long-métrages dans toute l’histoire du cinéma national (une bonne partie concentrée sur ces dernières années malgré tout). Qui veut donc faire l’expérience rare de voir un (très bon, de surcroît !) film uruguayen n’a plus qu’à courir dans l’une des quelques salles françaises qui le diffusent…

Le film a été tourné sur les lieux mêmes de la cinémathèque. On y voit l’ancien directeur Manuel Martinez Carril et surtout, dans le rôle principal, le critique Jorge Jellinek, qui joue ici Jorge (un autre), employé dévoué de l’institution. En ressort une certaine émotion, un sentiment de proximité et d’intimité renforcé par le noir et blanc et le format carré.

La vida útil se découpe très clairement en deux temps. Tout d’abord, le temps du travail dévoué au sein de l’institution, malgré les entraves matérielles : manque d’argent, difficultés à payer le loyer, mauvaise qualité des projections dont se plaint un réalisateur de passage mais dont les cinéphiles s’accommodent bien, bref, le temps des aléas matériels qui appellent l’indulgence dans un lieu nourri par la passion. Les personnages sont humains, imparfaits et d’ailleurs parfois maladroits à force de passion : on pense à la scène de l’émission de radio au cours de laquelle Jorge essaie en vain de suggérer au directeur d’abréger l’exposé un peu longuet dans lequel il se laisse entraîner. D’un côté, la beauté d’un art collectif qui appelle à la réunion dans les salles ; de l’autre, la contrainte de la nécessité du financement et de l’adhésion massive pour subsister.

En effet, le couperet tombe : les subventions sont coupées, faute de rentabilité. C’est la catastrophe, soulignée non sans humour par une musique dramatique qui marque le basculement dans la seconde partie du film. Rassurons-nous, le coup de déprime ne dure pas. Alors que l’on n’avait pas quitté les salles, coulisses et couloirs de la cinémathèque dans la première partie, plus question de cinéma ici. Le film sur le cinéma devient film sur la vie d’un homme, Jorge, tout en reprenant en clins d’œil les codes du cinéma. Vient le temps de l’histoire d’amour. Jorge, jusqu’alors géant timide et taciturne, se révèle étonnamment délicat, drôle, voire gracieux et élégant au détour d’un pas, d’un mouvement ou d’une décision, d’un acte. Une fois dans le monde extérieur, au contact d’autres univers professionnels, les personnes au travail sont observées avec attention. On prête ainsi l’oreille aux bruits de pas et bruissements de pages à la bibliothèque. On s’arrête surtout quelques minutes sur les mains et ciseaux du coiffeur, dans une scène magnifique. Jusqu’à un beau happy end. La cinémathèque est tristement fermée, on en profite pour faire un film, passer élégamment à autre chose : quoiqu’il arrive, il y aura toujours du cinéma !

Loin des vaines déblatérations sur la mort éventuelle du cinéma, La vida útil articule la double logique de la dépendance de l’art cinématographique vis-à-vis de ses financeurs et de son public et de la foi inébranlable dans le désir de filmer et de regarder, désir qui ne s’éteindra pas.