Lors des cérémonies du 11 Novembre, le président Sarkozy a rendu un hommage appuyé à tous les soldats tombés en 14-18 : "Tous furent des héros, même ceux qui, après avoir affronté avec un courage inouï, les plus terribles épreuves, refusèrent un jour d’avancer parce qu’ils n’en pouvaient plus." Ces mots illustrent bien la différence et la distinction entre Mémoire et Histoire. La politique de mémoire peut choisir de réhabiliter certains ou en oublier d’autres : elle suit un objectif qui lui est propre et qui peut varier au fil des ans et des circonstances. L’histoire, elle, souligne les faits et les inscrit dans la durée. Comment, alors, définir le "héros" ? Peut-on le caractériser au-delà des circonstances du moment et de façon "transcendante" ? Héros : comment ce terme paroxystique résonne-t-il aujourd’hui pour nos concitoyens ? Est-ce trop élogieux ?
En France aussi, nous avons régulièrement des héros vivants, mais décorés dans l’intimité : qui les connaît ? Peu de gloire pour eux, au-delà des rubans… Du coup, ils finissent aux côtés du soldat inconnu plutôt qu’au Panthéon. Cette différence d’approche semble refléter la vision des opérations dans l’imaginaire des citoyens : la Francen’a pas connu de guerre sur son sol depuis plusieurs décennies. Le soldat y est avant tout acteur de paix pour une cause supérieure au pays (l’OTAN, l’ONU, la responsabilité de protéger, le devoir d’ingérence…). Inconsciemment chacun tend à perdre de vue le lien direct entre l’action extérieure et la défense dela France. Enfin, et à titre d’exemple, le cinéma honore rarement le soldat français qui est plutôt le protagoniste de drames psychologiques. Ainsi, l’héroïsme ne semble pas consubstantiel du soldat.
Cette différence d’approche apparaît donc comme le reflet de visions distinctes de la projection de forces à l’extérieur des frontières. Mais d’autres raisons plus profondes expliquent nos difficultés à adouber de l’appellation d’origine contrôlée "héros".
La première raison réside dans la notion de "travail accompli". Si les héros ordinaires sont nombreux, qu’ils soient médecins, pompiers, journalistes, policiers, soldats ou simples citoyens, peu en parlent en ces termes. Leur métier risqué, en effet, ne se résume souvent que par le fameux "ne font-ils pas leur devoir ?" Lorsque l’un d’entre eux se distingue, on peut objecter qu’il n’est ni le premier, ni le dernier : il devient en quelque sorte fonctionnarisé.
La seconde barrière est un peu liée à la précédente. Il s’agit de la "loi du nombre". Tous les soldats, tous les pompiers, tous les médecins vont en masse respectivement à la guerre, au feu ou sauver des vies. Tous les soldats morts pour notre pays sont tombés pour une cause héroïque. Ils sont nombreux et, par fausse pudeur peut-être, nous avons quelques réticences à tous d’emblée les appeler "héros".
Troisième objection : considérer qu’ils étaient "au bon endroit, au bon moment". On a naturellement tendance à résumer l’acte héroïque à un coup de poker. Ceci équivaut d’ailleurs un peu à dire, "si j’avais été à sa place, j’aurais été tout aussi adroit". Ainsi, c’est l’action qui devient héroïque et non l’homme.
La quatrième difficulté, c’est le débat d’idées. "Fallait-il en arriver là ? Fallait-il libérer les otages du Ponant par la force, au péril de la vie de ces derniers ? Fallait-il faciliter la chute de Kadhafi ? Fallait-il les envoyer en Afghanistan ?" La contestation de l’action stratégique fait disparaître la beauté de l’action tactique.
Cinquième et dernier point : la misère qui engendre l’acte héroïque. Il y a toujours, en amont de l’action, une mauvaise raison : la guerre, la détresse, la maladie, le feu... Victor Hugo disait dans les Misérables : "la vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté sont des champs de bataille qui ont leurs héros". Cette misère, toujours humaine, est souvent plus marquante que l’action héroïque en soi.
La conséquence est simple : en France, il est difficile de donner cette appellation mythologique de "demi-dieu" à un homme. Nous sommes dans une société people. On se crée des héros qui n’en sont pas, ce sont des stars... Or, comme les étoiles qui les représentent, leur notoriété est éphémère. Leurs histoires n’ont rien de très intéressant mais par voyeurisme, on aime à se les raconter, même dans des pages sérieuses. Nos vrais héros, eux, sont banalisés : ils passent pour des victimes d’accident, des martyrs. Commenter leur action, et le sens de cette action n’est pas très intéressant et ne fait pas vraiment rêver la "ménagère".
"Mourir pourla France", n’est-ce pas une mort héroïque ? C’est une belle mort pour un soldat, mais c’est un soldat qui parle. Pouvons-nous cesser la fausse modestie à la française qui tend à amoindrir de belles et courageuses actions? Agir en héros n’est pas suranné : il semble bon de souligner pour l’exemple que certains le vivent encore en France et parfois au quotidien. Ils participent directement de l’écriture du roman national. Encore faut-il vouloir un peu de gloire dans ce roman…
Chef d'escadron Nicolas OLDRA
Officier Saint-Cyrien issu de l’arme blindée cavalerie et ayant servi principalement à la Légion Etrangère, stagiaire à l'École de Guerre (s'exprime à titre personnel).