La sexualité et les plaisirs
chez les grands poètes arabes
Je vais tenter de mettre à la disposition des lectrices/eurs des faits peu connus et surtout cachés et tus par toutes les histoires officielles ou scolaires de la littérature arabe. Ces choses nous sont connues entre autres par les traductions que fait l’excellent et regretté René Khawam des manuscrits anciens, souvent inédits comme c’est le cas ici, de cette littérature. Il faut dire que c’est une chance inouie que ceux qui ont censuré les prudes pages des Mille et Une nuits ne soient pas tombés sur ces anecdotes succulentes cocernant la vie sexuelle des Arabes et des Maghrébins. L'esprit dans lequel sont tournées ces histoires montrent combien étaient décontractés ces hommes et combien leur histoire a été rigidifiée et falsifiée par les enseignements officiels...
Bachar Ibn Bourd, un adepte des plaisirs extraconjugaux :
Le célèbre Bachar Ibn Bourd, poète satirique s’il en est, mis à mort en 783 et jeté dans le Tigre, était parmi les plus grands adultères. C’était un grand adorateur de la chair et un infidèle invétéré. Il avait l’habitude de tromper sa femme et de composer des vers sur la saveur de ses conquêtes. A chaque reproche qu’on osait esquisser à son encontre, il jurait que tel n’était que pure calomnie. Un jour, sa malicieuse femme le piégea. Elle se débrouilla pour trouver une vieille, car les vieilles jouaient à l’époque le rôle « d’agents de débauche » spécialisés dans le recrutement des femmes pour leurs clients hommes, une vieille donc à qui elle dit :
« Va trouver mon mari et décris lui mes plus belles qualités, mais sans me nommer. Fais lui comprendre que je ressens de l’amour pour lui et arrange entre nous un rendez-vous chez toi. Je pourrai enfin le convaincre de mensonge. » (Tîfâchî, p. 117)
Le pauvre poète s’est laissé enrôler par la vieille, qui lui décrit sa nouvelle proie comme « hautement expérimentée dans les activités de la conjonction » (c'est-à-dire dans l’amour physique). Elle lui fit savoir que son mari est absent et qu’il devait profiter de cette occasion pour copuler avec elle. L’imagination de Bachar s’enflamma. La femme en question, qui n’est autre que sa propre épouse, attendait dans la pénombre, parfumée, revêtue de ses plus beaux atours et cachant son visage par différents déguisements érotiques. Le poète arrive au lieu du rendez-vous et sans plus attendre, se précipite sur le beau corps de sa belle. Elle s’abandonne complètement et lui fit divinement l’amour. Mais au moment crucial où l’homme allait atteindre son point culminant, elle l’emprisonne de ses jambes, lui assène de vigoureux coups sur la poitrine et le poète tombe à la renverse. Elle lui cria alors :
- « Espèce de débauché, où sont tes faux serments ? Où est ta fidélité ? »
- Le poète répondit alors en ces termes : « je n’ai jamais vu de femme plus froide que toi sur le lit des passions licites et plus chaude sur celui des passions coupables ! »
Abou Nowas et les servantes :
Abou Nowas (745 ? -810 ?), le grand poète chantre du vin et des plaisirs charnels, se prépara un jour à aller à un rendez-vous que lui fixa une servante nommée Samha (la Douce) qu’il courtisait depuis belle lurette. Il avait déployé des trésors de ruse et de poésie pour qu’enfin la belle accepte de se livrer dans la maison d’un ami à lui. Tout content, le poète se prépara soigneusement, se parfuma et mit ses plus beaux habits. Or, c’était compter sans la jalousie et la ruse de sa propre servante, « Hâchimiyya », qui exerçait sur lui une véritable surveillance. Elle comprit vite ce qu’il manigançait en le voyant dans cet état. Elle s’arrangea alors pour lui servir du vin et le prier de bien vouloir prendre un verre avec elle avant de partir. Abou Nowas ayant pour devise de toujours être aimable avec elle, accepta volontiers. Tout en buvant, elle se mit à jouer avec lui, à le toucher, à le caresser. Le poète n’a pu résister et la prit vigoureusement. Elle recommença quelques instants plus tard et ils copulèrent de nouveau.
- Bon, fit-elle, je crois que tu n’as plus d’énergie à présent.
Abou Nowas se ramassa et se rendit quand même au lieu du rendez-vous avec Samha. La belle était folle à force de patienter et se jeta sur lui. Mais elle se rendit vite qu’il n’y avait plus rien à tirer. Il était tellement fatigué qu’il n’arrivait même pas à esquisser une caresse. Il s’excusa de cet état mais Samha était furieuse et jura de ne plus lui pardonner. C’est ainsi qu’on surnomma Abou Nawas « l’amant de Samha » pour se moquer de lui et de son « impuissance » à cette occasion.
La mésaventure érotique d’Abou Al ‘Attahiyya
Abou Al ‘Attahiyya s’est promis de ne jamais assister à un cénacle où serait présent Abou Achamaqmaq, qu’il détestait cordialement. Or, un jour que celui-ci était en compagnie d’Abou Nowas, d’Al Houssayn ibn Addahak et d’autres poètes, on s’arrangea pour le cacher dans le cellier dés qu’on entendit venir Abou Al ‘Attahiyya. C’était en vérité une ruse. Dés qu’Abou Al ‘Attahiyya posa son séant, il entendit un bruit dans le cellier et s’enquit aussitôt : « qui est là ? ». Ses amis poètes lui répondirent qu’il s’agit d’une servante de fort belles qualités, douée d’une beauté hors du commun mais un peu timide. On mit beaucoup d’adresse à la lui décrire à tel point le poète se leva brusquement sous l’effet du désir qui naissait en lui. Il se dirigea vers le cellier et glissa sa main entre les deux battants tout en improvisant ces vers :
« En mendiant, vers vous, j’ai tendu la main »
Qu’avez-vous à répondre à cet indigent ? » (Tîfachî, p.127)
Abou Achamaqmaq qui était à l’intérieur avait fait dresser son sexe et le posa délicatement dans la main de son ennemi en déclamant ces vers :
« Nous répondrons en mettant en ta main
Le fier goulot d’un flacon
Qui guérira de l’intérieur
Ce mal dont la violence te surprend » (Tîfâchî, p. 128)
Abou Al ‘Attahiyya tâta bien l’organe dressé et retira brusquement sa main. Il maudit cette assemblée et quitta précipitamment le cénacle.
Al Farrazdaq, un amateur de bonne chair :
Al-Farazdaq (640-732 ?), contrairement à Djarîr, homme de caractère ascétique et dûr, n’ayant apparemment jamais composé de poésie sur les femmes, était aussi un excellent adultère, coureur de servantes et de bonne chair. Il laissa à la postérité ce sage conseil de drague devenu célèbre :
« Ne rencontre que durant la nuit
La personne à qui tu donnes rendez-vous
Car le soleil est un médisant
Tandisque le nuit est la meilleure entremetteuse » ( Tîfâchî p. 51)
Une tradition sexuelle de l’Orient arabe : le piquage
A l’époque se répandit en Orient une tradition sexuelle bizarre : le piquage. Elle consiste pour un homme à surprendre un autre homme dans son sommeil et à le pénétrer sans autre forme de procès. C’est devenu un art de la sodomie dont il fallait connaître les règles et surtout dont il fallait maîtriser des instruments tout aussi bizarres (un rouleau de papier, un trio de cailloux, un sachet de poussière fine, une petite outre, des ciseaux, une aiguille, etc.) dont je ne saurais vous expliquer le maniement.
Al Djammaz (mort en 868), poète et conteur de la cour d’Al Moutawakkil, se fit un jour surprendre de la sorte pendant son sommeil. Il se réveilla et trouva un fort majestueux instrument planté dans son fondement (son cul). La pénétration fut si difficile qu’Al Djammaz sentit tous ces entrailles se déchirer au mouvement du va et vient du piqueur. Il recueillit alors une quantité de salive dans sa main droite et la tendît au piqueur en lui disant :
- Seigneur, tu aurais tout au moins pu t’aider de ça dans ton voyage à l’intérieur de moi !
Le piqueur eut honte à ses mots; il abandonna sa tâche et s’enfuit (Tîfachî, p. 244)
Quand l’émir al-Mouminine est sodomisé…
Dans le sud de la Perse, au Sîdjistâne, l’émir al Mou minîne avait à son service un curieux personnage. Il s’agit d’un compagnon et d’un bouffon à la fois nommé Abou Bakr Al Barrîh. Ce dernier avait l’habitude de s’enivrer pendant les soirées organisées par l’émir et de ne se réveiller qu’au milieu de la nuit, poussé par de violents désirs, pour piquer (pénétrer) tous les convives qui se sont risqués à passer la nuit dans le palais de l’émir. Mais il était tellement aveuglé qu’il ne faisait aucune différence dans l’obscurité.
Après avoir pénétré plusieurs notables, un jour il monta sur le dos d’un homme qui lui enjoignit de descendre tout de suite :
- Ne vois-tu pas imbécile que je suis un vieillard ? Ce ne sont pas les jeunes gens qui manquent ici pourtant ! Vas-y, pique qui tu veux mais laisse moi tranquille, je ne peux plus faire cegenre d’activité à mon âge !!!
C’était Amir al-Mouminine en personne. Abou Bakr Al Barrih s’excusa, « il faisait noir et je ne voyais pas bien » disait-il. Ils mettent alors une stratégie avec l’émir pour que pareil incident ne se reproduise plus. Il fut convenu qu’un sabre soit déposé chaque soir aux pieds de l’émir pour le piqueur s’éloigne et choisisse une autre victime. Mais un soir, un notable ne pouvant plus d’être piqué se leva la nuit, changea de place au sabre et le mit à ses propres pieds pour éviter d’être de nouveau la vicctime. Al Barrîh se lève la nuit comme à son habitude, s’empare du premier corps qu’il trouve à portée de main après avoir bien vérifié que le sabre n’est pas à ses pieds. Il le pénètre vigoureusement et ne se soucie pas des plaintes du piqué. Une fois sa besogne terminée, il se rend compte qu’il s’agit encore une fois de l’émir.
- Malheur à toi ! N’as-tu pas touché le sabre à mes pieds ? Ne vois-tu pas que je suis l’émir ?
- Mais le signe dont nous étions convenu n’est pas à sa place se contente-t-il de répondre.
L’émir, se rendant alors compte de la ruse de son notable, éclata de rire !
Voilà qui nous renseigne sur les mœurs très décontractées de l’époque…
(Al Tîfâchî, pp. 244-245)
Source : Ahmad al-Tîfâchî, Les Délices des cœurs, traduction intégrale sur les manuscrits originaux par René Khawam, Paris, Editions Phébus, collection « Pocket », 1981.
A suivre...