Les mangeurs clandestins
Le Ramadhan touche à sa dernière décade. L’ambiance est celle des soirées animées, des veillées rythmées de musique arabo-andalouse, des mets exquis qui défilent, des plats savoureux. La vie baigne, l’espace d’un mois, dans une festivité nocturne tolérée. Après ses dures journées à jeun, le musulman peut prendre du plaisir, du moment qu’il est sous le patronage du sacré. Il oublie ses interdits, il oublie qu’Ibn Tumart censurait la musique, le moment d’une veillée.
Mais ma pensée va plutôt à ceux qui, dans les pays arabes ou musulmans, situés en marge de l’orthodoxie culturelle, ne jeûnent pas. Oui, ceux-là même qui relèvent de l’impensable pour certains, qui ont choisi de ne pas se plier à la loi générale, qu’ils soient d’ailleurs croyants ou pas. Ceux-là, dans ces sociétés très peu démocratiques, n’ont pas droit à la différence. Ils sont au minimum méprisés comme de vulgaires immoraux, des délinquants culturels, obligés de rentrer dans la clandestinité pour…manger. La haine qui les fusille est dans tous les regards. Le premier quidam qu’ils rencontrent se sent en droit de les rappeler vigoureusement à l’ordre moral, voire de les menacer en cas de non obéissance. La vie sociale, ouverte à 9h et fermée vers les 15h de l’après-midi, ne leur laisse aucun endroit à fréquenter : les cafés et les restaurants sont fermés, les gargotes cachées sont interdites d’activité et la maison est sous l’autorité du patriarche qui édicte une foi obligatoire pour toute la famille. Je ne parle pas de l’islamiste, pour qui ils passent pour une incarnation du diable, et de l’islamiste armé, pour qui ils sont des têtes à égorger.
Du point de vue de l’état, censé garantir les libertés publiques, ce n’est guère mieux. Je me souviens des descentes punitives de policiers en tenue dans les jardins publics en Algérie, derniers refuges des « mangeurs clandestins ». Les gifles, les coups de crosse, les embarquements vers le commissariat, les humiliations verbales et les insultes, sont autant de moyens répressifs pour ramener à l’ordre les récalcitrants. C’est dire le zèle des CRS quand il s’agit d’être au service de Dieu et de la morale conventionnelle, et non plus au service de l’état et de la démocratie. Dans les casernes de l’Armée Nationale Populaire, les mangeurs clandestins encourent de graves punitions, allant de la réprobation conséquente des officiers jusqu’à un séjour prolongé en prison.
Une petite comparaison avec ma situation parisienne. Mon voisin a des pouvoirs extraordinaires : il peut ramener à boire chez lui, inviter toutes les filles qu’il veut, fumer un joint, manger pendant le ramadhan, visionner des films pornographiques. Il peut aussi lire la Bible jusqu’à 3h du matin, rejoindre une secte religieuse, allumer 24h sur 24 une cassette de Coran. A partir du moment où il ne trouble pas la paix publique, et même s’il la troublait, je n’ai aucun droit d’aller le rappeler à l’ordre. Personne dans le bâtiment ne lui lance des regards méprisants ou haineux. Personne ne vient lui faire la morale, lui dire que les films porno, ce n’est pas bien. Si je m’avisais à frapper à sa porte pour lui dire khsara a’lîk, c’est moi que la police viendra chercher comme agresseur et fauteur de troubles. C’est parce que l’Etat a le monopole du rappel à l’ordre et parce que l’ordre est celui de la démocratie où sont garanties les libertés privées. C’est parce que l’éducation citoyenne des gens ne leur apprend pas à devenir des contrôleurs moraux de bonne conduite. Elle leur apprend au contraire à respecter les choix d’autrui, surtout quand ils sont différents des leurs. La force armée est rangée du côté des respects des libertés, et non du côté de la morale conventionnelle. Aucun patriarche ne vient imposer ses opinions à mon voisin, majeur et vacciné. Il n’a de pression à subir de personne quant à ce qu’il faut croire et à ce qu’il faut appliquer.
Quant à nous autres majoritaires du monde musulman, quand nos opinions et nos préférences vont dans le sens de l’orthodoxie religieuse et culturelle, ne pensons surtout pas à la violence symbolique, à la répression morale et physique que subissent nos frères qui ont des convictions et des pratiques différentes. Fermons les yeux devant leurs libertés confisquées et acclamons l’ordre moral qui prohibe le vice (celui des autres) et instaure la vertu (la nôtre) ! Continuons à faire notre fête, à savourer nos veillées rythmées, jusqu’à ce que cet ordre moral, un jour, dans ce domaine ou dans un autre, se retourne contre nous !
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 01 octobre à 15:24
salut, si on laisse ces voyous faire ce qu'ils veulent alors chacun descendra à la rue et peut faire ce qu'il veut pretextant la liberté et je ne sais qu'elle merde encore pour moi ces mangeurs de ramadan doivent etre jetés de pierres par la population pour etre pris comme exemple comme ca personne n'aura le courage de prendre leur mauvais exemple et moi je leur dirai allez vous en, vous n'etes pas les bienvenues au maroc meme si vous etre marocains parce que vous nous faites hontes
posté le 20 août à 18:48
Merci ça fait plaisir de penser qu'on pense à nous.