Tout comme la procédure pénale, la politique répressive connait des vicissitudes liées aux changements de gounernement, révélant ainsi une fracture idéologique profonde entre les deux grands camps politiques qui se partagent le pouvoir depuis l'avènement de la Vème République.
Alors que la gauche et la droite peinent de plus en plus à faire croire aux français qu'elles s'opposent réellement sur des sujets de fond, telle que l'éducation, l'économie, la monnaie, l'immigration ou la dette publique, il pourrait sembler intéressant, au premier abord, d'analyser les ressorts des partis pris idéologiques de chaque camp et leur incompatiblité, tant il paraît exister en ce domaine une opposition frontale entre les deux camps.
Ainsi, alors que la droite, pour faire court, est l'héritière du dogme de l'infaillibilité de la justice, dont le corrolaire était l'absence de droit à l'erreur de l'individu face à la justice criminelle, la gauche, emboitant le pas aux avancées des disciplines qui sondent l'esprit humain, inscrit sa pensée pénale dans l'idée que l'individu et son comportement sont le produit d'un contexte socio-familial, conception qui s'oppose à l'idée d'une prédisposition au crime, et donc d'une automaticité de la peine.
A notre époque, le prolongement le plus saillant de cette opposition réside dans la propension des partis classés à droite à mettre l'accent sur la répression, tandis que les partis situés de l'autre côté de l'échiquier politique n'ont que le mot de prévention à la bouche.
Au premier abord, il pourrait sembler que la politique pénale actuelle illustre une forme de compromis entre ces deux conceptions, qui se renforcerait légèrement dans un sens ou dans l'autre en fonction du bord politique aux manettes de l'exécutif. Dans les faits, la situation actuelle révèle tout autre chose: la collusion entre les deux grands partis de gouvernement pour laisser s'installer une forme d'impunité pour la forme de délinquance la plus dangereuse socialement, à savoir les "incivilités" et les autres formes de violences commises contre les personnes.
Cette volonté conjointe de favoriser une forme d'impunité n'est pas immédiatement perceptible, car elle repose, plus que sur une modification des textes répressifs, sur un refus de les appliquer conformément à leur lettre et même à l'esprit dans lequel ils ont été conçus. Plus concrètement:
- soit les textes répressifs ne sont pas appliqués
- soit, lorsqu'ils le sont, les peines prononcées sont dérisoires
- un laxisme est à l'oeuvre au stade de l'application des peines, les délinquants condamnés effectuant, le plus souvent, pour le pas dire systématiquement, des peines ridicules au regard des condamnations prononcées, dont nous avons dit qu'elles sont déjà largement symboliques
- la proportion de délits dont les auteurs sont identifés et punis diminue sans cesse, alors que les infractions contre les personnes augmentent
- la proportion des délits pour lesquels les victimes acceptent de porter plainte est en baisse, en raison du sentiment qui gagne la population que l'Etat et ses représentants ne peuvent ou ne veulent les sanctionner
Ce dernier point illustre aussi l'une des raisons pour lesquelles les infractions contre les biens semblent baisser quand en réalité les victimes renoncent à ce que justice leur soit rendue.
Il résulte de ce tableau, qui ne varie pas en fonction du bord politique des gouvernements en place que, dans le meilleur des cas, il n'existe pas de volonté politique de lutter réellement contre la délinquance. Dans le pire des cas, la situation décrite est le résultat d'une impossibilité de lutter contre certaines formes de déliquance. Cela expliquerait le grand écart existant entre, d'un côté, les discours publics prononcés sur les questions de délinquance et de répression et, de l'autre côté, la réalité de terrain confirmée tant par les professionnels de la police et de la justice que par les victimes (ou même la simple observation de la société au quotidien).
L'analyse des causes d'une telle situation est aussi délicate que nécessaire. L'une des causes possibles est idéologique: la croyance dans une impossibilité de concilier prévention et répression, alors qu'aucun argument sérieux ne vient justifer de diminuer la sévérité des peines lorsque la prévention est activement menée, ou de lever le pied sur la prévention lorsque la répression a la faveur du pouvoir. Tout au contraire, la sévérité est garante de l'aspect dissuasif de la peine, donc de la prévention, tandis que la prévention rend possible une vraie répression en diminuant la masse globale d'actes délictueux, augmentant du même coup l'efficacité du dispositif répressif.
Plus sérieusement, l'étude des auteurs, souvent conseillers des gouvernements des grandes puissances, qui ont osé évoquer dans leurs écrits les notions d'ingénierie sociale, révèle que, tout comme le maintien d'un taux de chômage minimal (d'ailleurs assez élevé, l'idéal étant 10%) constitue un puissant outil de régulation économique, le maintien d'un certain taux de déliquance rend les populations davantage susceptibles de réponder favorablement aux dirigeants politiques qui feindront de vouloir résoudre le problème, tout en omettant volontairement de lutter contre ses causes véritables.