Guy Allix : Choix de textes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

La Tête des songes
1974, 1975
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PAYSAGE DERRIÈRE LA VUE

Entre les gîtes
S’élève la lumière
Plus forte que nature
Les cadavres
A la recherche des couleurs
Poussent une plainte
Comme s’ils étaient la nuit même
Et les maisons pâlissent
De ne pouvoir respirer
Autre chose que des hommes

Il faudra au moins
Les cris d’un vagabond
Pour tout remettre
En désordre

***

Qui m’aidera à TRANSPERCEVOIR ?
J’aimerais ces stores déchirés
Par l’opium peut-être
Par l’amour sûrement
Une main gantée d’orgasme et de foudre

Les mots seront ces vagabonds de ma tête
Rien que des vagabonds
Je les voudrais plus nus
Que le premier jour du monde
Plus semblables à la foudre
Sur la tête des hommes
Je les voudrais surtout
Terrassiers

Qui m’aidera à TRANSPERCEVOIR ?

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VIN FOU

Je suis l’interprétation de la souffrance
Et je torture mon corps
Pour pouvoir survivre
L’alcool devient ma logique
Au creuset de mon désespoir
et le sperme
Mon unique but
L’alcool cherche une âme
Vers l’éternelle jouissance

Je corrige mes fautes
J’intensifie mon espace
JE M’ENTRAÎNE POUR L’IMMORTALITÉ

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FRAGMENTS

1

Qui pouvait penser
Que cette bouteille
Si fragile
Abriterait toutes les nuits
A REGAGNER
De mon être

2

Je ne serais jamais
Qu’un grand lit
Rouillé par l’insomnie
Un grand lit de matin
Attendant toujours la nuit

3

Vie en forme de fer rouge
Vie de cri à quatre pattes…
… Je n’écrirai que sous l’empire du feu

4

Tant pis si je mens
Mes parloirs sont d’ardents somnambules

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LE VENTRE BIEN REMPLI

Enlacé par l’incertitude
J’ai vu deux ouragans se lever
Dans un même espace vert
Deux ouragans
Déchaînés dans leurs draps
Et leurs empreintes digitales
J’avais le mal de vivre
Et le mal à penser qui ne s’écrit pas
Mon cafard s’est levé
Comme l’entonnoir de mon sang

Jean-Pierre Duprey courait
L’été pris dans un bac de ciment

La foudre se levait aussi
C’était une prostituée fragile
Qui réclamait son dû

On m’a marqué au fer rouge
Mon troupeau était choisi
Mon abattoir était taillé dans la même dent
Que les rayons du soleil sur la soif

Les infirmes de l’amour
S’agglutinaient sur des vitres épaisses
Assis sur des chaises titubantes
J’ai cru qu’il n’y avait plus
Rien d’autre à chanter
Que l’impossible

L’hiver passait son chemin
Sur ma route
Il n’y avait ni manteaux
Ni tickets de vestiaire
Le cercle perdit sa couleur de paix
Il prit celle du nœud coulant
Et servit le charité

On m’ordonna de mettre à nu
Ma mémoire d’enfant
Et de la rouer de coups
On m’ordonna aussi de briser les verres
Qu’avait connus ma bouche

J’allais oublier de dire
Qu’il fallait fermer boutique
Au rêve et au pain d’épice
A l’heure du vagabond

Maintenant sur ma feuille froide
Où mes mains se glacent
Qu’irais-je chanter ?
Si je ne vais pas boire
A l’origine des louves

Irais-je
Chanter ce vin aux yeux fermés par le silence ?

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DÉCLARATION

Je prends sur moi de vivre et de mourir à ma guise
Sur moi sur ma fatigue des mauvais jours
Jours tristes sans individualité
Jours de prison d’âme
Je prends sur moi de vivre et de rêver
De vivre fou
Puisque la folie est de vos bêtes féroces
De vivre enfant
Puisque l’enfance est de vos os
Jetés à la poubelle
Folie
Je t’ai déterrée
Avec tout ton sang sur les épaules
Liberté
Je te braille de mon berceau

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L’éveil des forges
1976
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LA GRANDE FORGE

C’était toujours l’exploitation des forges
Avec des tenailles à faire l’amour
Des bras essoufflés d’orgasme
Et la chair de la compréhension

C’était toujours le réveil du délire
Et des brasiers en gerbes sanglantes
De grands brasiers inventés

C’était une vie à défendre
Contre la racine du gel
Contre la plaie des sacrifices

Un long message cellulaire…

… Puis d’autres venaient
Qui nous accusaient de vivre

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Avancé dans la clairière de l’indicible
Presqu’à fleur de rêve
Comme une étoile perchée du silence
Comme la fièvre tamisée de l’amour
Comme un regard qui s’ouvre enfin

Avancé dans la clairière de l’indicible
Le doigt posé De l’éternité

Et cet homme qui l’a vu
Ne s’en remettra jamais
A la loi des hommes

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POÈME D’UNE NUIT PASSÉE A LA QUESTION

1

A l’instant d’éclater
Usons de notre solitude

Ce rayon d’ombre
Où tout s’agite
Où je me lève

2

De corps à corps vers l’Être
La parole semée était unique

Une foule obscure portait sa voix
S’avançait au dedans de lui

L’immense solitude d’un cri
Et son embrassement du monde

3

La foudre ramène son butin d’images
La foudre rie déchire pas le ciel
Mais son mensonge

Des yeux d’enfants vont habiter
Les orbites des vieillards

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Toute vie est à saisir pas la branche

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Mouvance mes mots
1984

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LAVE FORMELLE

1

Tu recevais la trace du hasard
Le peu de mots qu’il fallait
Pour te perdre à tous les vents

Au plus chaos

2

… La peur à chaque mot
Pressant le flux

Liquide la parole qui te boit

3

Tous les regards de ton aveu…

La chambre bourdonne encore
D’échos et de luttes

… Crispé de mots ton poème déchiré

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TANIÈRE

C’est des mots vers le dedans
L’heure te monte à la tête
Et tu retraces l’indigence

A pas de sperme à pas de ventre
Tu comprimes la peur dans l’habitude…

… Tu te souviens de la fragilité
Comme une mère

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Au creux d’un seul abri
Un caillou martèle
Des correspondances inouïes

Le flanc offert
A tous les sourcillements
J’écoute l’étreinte
Sous les volutes d’une femme…

… Dehors la pluie rêve d’un autre ciel

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MURMURE

Comme la ville faisait des pas d’angoisse
Je me suis demandé
Quel était ce silence de poing brisé
Qui voltigeait entre les algues des enfants
Toutes ces vérités que l’on garde au secret
Dans des bas de soie

J’ai joint mon pas à la foule
Pour briser l’harmonie des tambours
Et j’ai beau porter des sacs de sang
Pareils à des loups affamés sur mes épaules

JE N’EN SUIS PAS CRUCIFIĖ POUR AUTANT

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Dernier souffle
Toujours sous le mot
Et dévide le dire au plus juste

L’échéance au fond du corps
Invente les lèvres d’un cri

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CRIANT D’AVEUX

1

L’ombre plus que boire

La mémoire bat des rythmes
Sur nous comme des tenailles

Le magma et le vin
Ont la forme d’un baiser

2

C’est l’abîme qui nous perçait…
Les murs nous serraient
Comme des pieuvres

3

Depuis mon ventre
Je te demandais de boire
Au cœur des loups

Toi tu t’écartais pour mieux m’enfouir

4

Une nuit comme toutes les autres femmes
Les vitres se taisaient

5

Quelques tessons s’abritaient encore
Derrière mes yeux

Augmentant cette mort au ventre
Et ce cri plus que muet

6

Lanterne ou givre et peau dedans
Nous confondions nos nuits
En un seul lit

7

Á l’aube le temps venait
Un peu plus vieux
Oui me croquait les chevilles

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Quand tout s’est soudain séparé et lutte
Nos gestes le soir
Refluent vers d’autres rives
Je te donne un instant
Je t’accroche ma peau
Aux griffes de tendresse

Nous aimons par la franchise d’une mort

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LA MISE A NU

Les vitrines agenouillaient les femmes en troupeaux
La ville repassait son linge
Tu venais d’un pays de froid clans le dos
Ton enfance comme un trou de ver
Ta tendresse recroquevillée dans ta chair à vif
Il y avait à vrai dire peu de mots pour ton corps
Peu de mots pour abriter la sueur

Tu descendais la rue béante comme une horloge
Tu n’avais, plus rien à croire qu’une peau de bête
Ce ventre sourd où se tramait la peur
Lorsque tu défaisais les vêtements humides

MÊME TES FLEURS ETAIENT CRISPĖES

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La bougie s’est éteinte…
Quelques caresses d’heures
A peine quelques mots
et
Le vin s’étire dans les ventres
La nuit s’insinue
Nous encercle de ciment…

IL FAUDRA COURIR OU SE TAIRE

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On n’économise pas
C’est l’abondance du sperme
Ce lieu qui s’expose
Ce lieu qui dit vrai
Cette tendresse d’argile
Qui fuse
Depuis le point obscur de la sueur

Ta main pleine de nous

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La rue plus loin de non corps
Ca tire sur le côté de l’eau
Des femmes boivent avachies les formes
Les ouvriers sont au frais sous le linge
La viande clouée au lit la soif
Ce goût qui prend bas
Près de la fuite et de la bière
Parfois un mot sous le gant
Qui s’installe en creux et rêve
La terre à deux doigts d’exister

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L’EAU MOURANTE

1

Brèches retours sur l’os

Rêve de peau le départ
La peur tordant le linge

2

Le verbe écarquillé
Sur l’herbe et sur la bave

Tu t’arrêtes
Tout prêt du non dire
A l’entre-deux
Dans une étendue de secousses

3

Tu voles de la parole sur la mort

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Passé les saignements d’humeur
1a maison s’ouvre sur ma tête
Comme un lit sauvage

La tanière respire du fauve
A pleines mains
Sous les sonneries d’écorces

… Fulgurance sévère
MENTIR termine ma raison

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