Selon ses détracteurs, la mondialisation, en libéralisant les flux de commerce et d’investissement et en exacerbant la concurrence internationale, a creusé les inégalités entre hommes et femmes, poussé celles-ci vers le travail informel et précaire, ce qui a débouché sur la féminisation de la pauvreté. Peut-on vraiment affirmer que les femmes sont victimes de la mondialisation ?
Par Hicham El Moussaoui
Publié en collaboration avec UnMondeLibre
Souvent les altermondialistes mettent en avant le développement de la sous-traitance et des zones franches économiques (ZFE) comme le témoin de l’exploitation de la femme par le système capitaliste véhiculé par la mondialisation. Ils vont plus loin dans leur raisonnement en soutenant que le développement de ce modèle économique a fini par jeter une majorité des femmes dans la pauvreté.
À entendre ce raisonnement l’on croirait qu’auparavant les femmes étaient riches et que suite à la mondialisation elles se sont appauvries. Or, l’on sait que la condition de la femme avant l’essor de la mondialisation a été pire qu’aujourd’hui, et que grâce aux opportunités d’emploi offertes par l’extension des marchés, permises par la mondialisation, le taux d’activité des femmes s’est amélioré même si la situation reste perfectible (par exemple, leur taux d’activité est passé de 53,5 à 53,9% entre 1993 et 2003). L’accès à davantage d’emplois, même s’ils sont informels ou précaires, a donné aux femmes la possibilité de générer un revenu propre, ce qui a permis d’accroître leur autonomie et améliorer leur niveau de vie. Par ailleurs, la mondialisation a réduit la pauvreté contrairement à ce que soutiennent les altermondialistes : en Inde par exemple, le taux de pauvreté est passé de 51% en 1977 à 26% en 1999-2000 (Bhagwati, 2010).
Enfin, quand les altermondialistes soutiennent que la mondialisation a creusé les inégalités entre les hommes et les femmes, il faut leur demander par rapport à quel point de référence ils font la comparaison. Car s’ils comparent avec une situation où les femmes travaillaient gratuitement, il devient évident que la mondialisation a permis de réduire le fossé béant entre la rémunération versée à qualifications égales aux hommes et aux femmes. Par ailleurs, si les entreprises se faisant concurrence au niveau mondial remplacent de plus en plus de main-d’œuvre masculine par de la main-d’œuvre féminine moins onéreuse, cela a pour effet d’augmenter peu à peu les salaires des femmes.
Donc, la question pertinente à poser n’est pas de savoir si les femmes sont victimes ou non de la mondialisation, mais pourquoi elle ne leur profite pas davantage ?
La réponse réside dans la persistance du système patriarcal, d’une part, et la faiblesse de l’état de droit, d’autre part. En effet, la nature précaire et informelle du travail des femmes s’explique par le système patriarcal véhiculant une division sexuelle du travail reposant sur deux principes : le principe de séparation et le principe de hiérarchie. Le premier assigne prioritairement les hommes à la sphère productive et les femmes à la sphère reproductive. Selon le second, un travail d’homme vaut plus qu’un travail de femme. Par conséquent, on comprend mieux pourquoi malgré l’existence d’opportunités d’emploi, les femmes s’en trouvent exclues ou réduites à des emplois précaires ou marginaux.
Toujours du fait de ce système patriarcal, les femmes continuent dans certains pays, d’avoir un statut de mineures de par les lois nationales ou les codes religieux, au sein de leur famille et dans la sphère publique, ce qui les exclut de la transmission de richesses via l’héritage, notamment au Moyen Orient et dans les pays musulmans. Cela les empêche quelquefois de travailler ou d’avoir accès à la propriété, aux crédits ou à la terre (les femmes perçoivent 10% de la masse salariale mondiale et possèdent 1 % de la richesse de tous les pays).
La discrimination envers les femmes s’explique en amont par le déni de leur droit à l’éducation (70% des analphabètes sont des femmes), ce qui les handicape dans leur accès aux opportunités d’emploi. Par ailleurs, les stéréotypes sexistes issus du patriarcat les confinent dans des filières dites féminines, tournées vers les services, peu qualifiantes et peu rémunérées. Par conséquent, l’existence de l’exploitation et la discrimination des femmes est bien antérieure non seulement à la mondialisation, mais également au capitalisme si l’on en juge par l’antériorité du patriarcat.
À travers le monde, les femmes comptent pour 49,6% de la population, mais seulement 40,8% des actifs employés dans le secteur formel (Banque Mondiale, 2012). Cette faible participation des femmes n’est pas la conséquence de la mondialisation, qui a accru le taux d’activité des femmes, mais bel et bien des inégalités des hommes et des femmes devant le droit. En témoigne que les économies les plus compétitives à l’échelle mondiale, celles qui profitent le plus de la mondialisation, sont aussi celles ou l’écart d’opportunité entre hommes et femmes est le moindre. Selon le rapport de la BM « Women, Business and the Law 2012: Removing Barriers to Economic Inclusion », seulement 20 des 128 économies étudiées ont les mêmes droits juridiques pour les hommes et les femmes dans plusieurs domaines importants pour les entrepreneurs et les travailleurs.
Comment espérer que la mondialisation profite aux femmes alors que dans un certain nombre de pays africains, comme le Rwanda, le Cameroun et le Togo, les hommes ont le droit légal d’interdire à leurs épouses de travailler ? L’accès inégal des femmes à la propriété, au crédit, les pousse forcément vers le travail informel. Donc le problème n’est pas la mondialisation, mais l’hostilité de l’environnement juridique des affaires aux femmes. Les régimes corrompus, les bureaucraties et l’absence d’état de droit qui favorisent les monopoles et les privilèges rendent l’investissement pour les femmes très couteux : elles se trouvent donc exclues des opportunités d’investissement offertes par la mondialisation.
Somme toute l’on s’aperçoit bien que poser les femmes comme victimes de la mondialisation est un faux problème. Le véritable enjeu est institutionnel dans le sens où persistent des institutions formelles et informelles qui consolident la marginalisation et la discrimination des femmes. Celles-ci ne pourraient jamais profiter des opportunités offertes par la mondialisation tant qu’il n’y a pas une réforme institutionnelle radicale favorable à l’accès de la femme au triptyque : éducation, travail et propriété.
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