Christophe Barbier a parfois des allures d’honorable correspondant de l’Elysée : suivre ses interventions donne de précieuses indications sur la stratégie et les éléments de langage sarkoziens. Il y a quelques jours, le 29 mars dernier, mon attention était ainsi attirée par la conclusion de sa chronique consacrée à la présidentielle dans la matinale d’iTélé. « Hollande est fatigué, Hollande est atone, Hollande est immobile, il n’est plus maître de sa campagne et la France de gauche doute. Elle se dit, ce type n’est pas capable vraiment d’être président, on ne va peut-être pas en refaire un président, mais si on choisit de laisser repasser Sarkozy, ce n’est pas pour avoir une politique de droite dans notre pays, nous tenterons la cohabitation, la gauche est en train de se dire, Sarkozy réélu président, ce n’est pas forcément grave si aux législatives on donne une majorité à la gauche pour l’économique et le social ». Je passe sur les qualificatifs attribués à François Hollande, sur « on » ne sait quelle base. Plus intéressant est le développement sur le désir de la « France de gauche », une France qui, non contente de reprendre les éléments de langage présidentiels (Hollande « pas capable » d’être président), aurait déjà théorisé la possibilité d’une cohabitation.
Malgré tout l’immense respect que je voue à Christophe Barbier, j’avoue avoir quelques doutes sur sa capacité à entendre la pensée profonde de la « France de gauche », et je me demandai donc immédiatement, en l’écoutant sur iTélé, qui avait bien pu lui glisser à l’oreille cette curieuse défense de la cohabitation. Tout venant à point à qui sait attendre, j’ai eu aujourd’hui la réponse à ma question avec un article d’Arnaud Leparmentier dans Le Monde, relatant la visite « discrète » (et partagée, maintenant, par les quelques lecteurs du Monde.fr, une broutille) d’Alain Marleix à l’Elysée, le 30 mars dernier, pour « alerter » Nicolas Sarkozy sur le risque d’une cohabitation avec la gauche s’il était réélu président.
Admirons cette superbe manœuvre d’enfumage médiatique (reprise largement suite au Monde : Slate, France Télévisions, Europe 1 …) réalisée avec le soutien involontaire du journaliste suivant l’Elysée pour le quotidien du soir. Manœuvre dont il faudra très attentivement surveiller les possibles répliques (au sens sismique du terme) dans les prochains jours.
Premier effet recherché (très clairement révélé par Barbier) : décomplexer les électeurs de gauche sur un éparpillement de leurs votes au premier tour de la présidentielle, et un non-report de ceux-ci, au second tour, sur le candidat de leur camp. En l’état actuel des choses, Sarkozy se heurte au second tour à un mur qui s’appelle l’antisarkozysme et qui se traduit par ces sondages qui ne descendent jamais en dessous d’un 53-47 en faveur de François Hollande. L’antisarkozysme crispe et dramatise l’élection sur un objectif partagé par un large éventail de Français : en finir avec l’Etat-UMP, quel que soit le nouveau président. La théorie de la cohabitation fait baisser la tension sur la présidentielle : « de toute façon, vous pourrez rendre Sarkozy impuissant en élisant une chambre de gauche aux législatives, alors votez en avril et en mai pour votre candidat préféré, défoulez-vous, et abstenez-vous de vous reporter sur le meilleur candidat anti-Sarkozy ». Voire abstenez-vous tout court.
Deuxième effet recherché, semer la zizanie à gauche – c’est l’effet logique du double affaiblissement du vote utile, au premier tour, et du désistement républicain, au second tour – et même au sein du PS. Car l’hypothèse de la cohabitation introduit la question du premier ministre : Hollande, Aubry ? Ou comment tenter par la bande de raviver les rancœurs passées des lointaines primaires.
Troisième effet enfin, mener la guerre psychologique contre la gauche. Echafauder des plans sur une cohabitation, c’est supposer que Sarkozy est réélu, scénario qui n’est accrédité par aucune étude à ce jour. C’est, par une sorte de méthode Coué, combattre l’image de perdant systématique qui est actuellement celle du candidat sortant. Et remobiliser les électeurs de droite assommés par les sondages.
La théorie de la cohabitation est donc un ballon d’essai très tactique, à ranger entre les louanges systématiques de l’UMP à l’égard de Mélenchon, et les commentaires à destination des centristes sur un Bayrou premier-ministrable pour Sarkozy. Mais revenons, pour finir, au fond de l’argument.
Cet espoir agité d’une cohabitation parlementaire après une défaite à la présidentielle (une chance au grattage, une chance au tirage) est un leurre total. Jamais dans notre histoire récente n’avons-nous vu d’Assemblée nationale être élue dans un sens inverse de l’élection présidentielle. Cette dernière est un événement politique hautement structurant pour notre pays, un événement qui détermine fortement la suite des événements. En outre, dans le cas précis de ce scrutin 2012, le choc d’une réélection de Nicolas Sarkozy, après la tension des derniers mois, démoraliserait et démobiliserait gravement la gauche. Sans même parler de sa désorganisation : Hollande et Mélenchon battus, aucun ne serait totalement légitime pour rassembler son camp, et le risque d’un départ à la bataille en ordre dispersé serait plus élevé (et grave) que jamais.
Faisons donc simple. Toutes les manipulations de spin doctors et de porte-paroles camouflés de Sarkozy (Alain Minc s’exprimait déjà sur cette cohabitation en janvier, c’est dire) ne pourront rien contre cette évidence : pour changer de politique en France, il faut changer de chef d’Etat, et pour changer de chef d’Etat, voter massivement, dès le premier tour, pour le seul candidat de gauche capable de rassembler une majorité de Français contre Nicolas Sarkozy. J’ai nommé François Hollande.
Romain Pigenel