Dans un monde parfait, les projections se dérouleraient sans perturbation aucune. Le son ne cracherait pas, le voisin de derrière ne donnerait pas de coups de pieds dans le fauteuil, tout le monde éteindrait son portable et rien ne viendrait gâcher le film. Souvent les spectateurs sont coupables des gênes éprouvées… allez, disons-le, la plupart du temps. L’enfer c’est les autres disait l’autre, ajoutons « même au cinéma ». Surtout au cinéma ?
Je passe suffisamment de temps sur ce blog à raconter tout ce qui me gâche les projections auxquelles j’assiste pour que l’on puisse croire que je préfèrerais rester chez moi voir les films seuls, mais ce n’est pas le cas. J’aime la salle, j’aime la communion entre spectateurs, même s’ils ne sont pas tous toujours irréprochables. D’autant qu’ils ne sont donc pas les seuls coupables de ce qui ne tourne pas rond dans les salles de cinéma. Les responsables de celles-ci auraient parfois eux aussi leur mea culpa à faire.
L’un des exemples les plus concrets qui soit dans ce que gèrent (trop souvent) mal les cinémas, c’est l’arrangement des horaires des séances. Cela fait des années que cela dure et j’ai il y a quelques semaines vécu cela une fois de trop, une fois qui me pousse aujourd’hui à écrire ma lassitude sur la question. L’objet concret de mon courroux ? Le manque d’espacement entre les séances. Certaines salles veulent caser le maximum de projections possibles dans une journée, et pour ce faire rapprochent le plus possibles les séances, ne laissant souvent que deux ou trois minutes entre le moment où un film se termine et celui où la séance suivante commence. Fin du film à 13h57, séance suivante à 14h ! Lorsque le cinéma est peu fréquenté et la salle petite, cela peut s’avérer moins gênant. A peine.
Car le temps que le public quitte la salle et que les portes s’ouvrent pour la fameuse séance suivante, à peine les spectateurs pénètrent-ils dans la salle que celle-ci s’assombrit et les bandes-annonces apparaissent à l’écran. On se marche à moitié dessus entre spectateurs tâtonnant, on rate les précieuses bandes-annonces, et finalement avant même d’avoir eu le temps de dire « Ouf », le film commence. Allez allez, on se dépêche, on sert au maximum pour caler une séance de plus, le 7ème Art est fourni à la chaîne !
Comment cela, les spectateurs aiment avoir le temps de choisir leur place dans la salle sans être bousculés par 300 autres personnes qui entrent en même temps ? Comment cela, les spectateurs aiment regarder les bandes-annonces et non pas entrer alors qu’elles se déroulent (dans certains cas, les salles gagnent même du temps en ne projetant pas de bandes-annonces…) ? Comment cela, les spectateurs veulent rester assis jusqu’à la fin du générique final et prendre leur temps pour quitter le film, se relever, se rhabiller et retrouver le monde extérieur ? Mais ils croient quoi les spectateurs, que le cinéma est un art qui se savoure comme l’on reste plongé devant un tableau ou que l’on laisse un livre s’infiltrer en nous ??
Bah… oui. Oui, mesdames et messieurs les exploitants. Aussi étrange que cela puisse paraître à certains d’entre vous (je ne vous mets pas tous dans le même sac), les spectateurs aiment à profiter de leurs expériences cinéphiles. J’ai employé le terme « savourer » un peu plus haut, et si nous aimerions toujours être accueillis de façon gastronomique, trop souvent vous nous réservez plutôt l’accueil d’un fast-food.
Lorsque je me déplace dans un cinéma et que celui-ci me fait poireauter devant la salle jusqu’à la dernière seconde, me fait entrer dans la bousculade parce que tout le monde entre (du coup) en même temps, me fait rater les bandes-annonces et qu’en plus, alors que le générique est à peine terminé et que je suis encore scotché au fauteuil parce que le film que je viens de voir m’a remué, l’un de vos employés vient me gâcher ce moment de flottement intense pour me dire de me dépêcher parce que la séance suivante commence dans une minute, je quitte le cinéma en pestant et en me disant que la prochaine fois, j’irai ailleurs.
Multiplexe ou indépendant, j’ai déjà maugréé dans les deux, du Champo à l’UGC Ciné Cité Les Halles. Ce dernier, que je fréquente souvent, est l’un des champions toutes catégories des séances collées les unes aux autres. Première séance à 9h et des poussières, dernière à 22h30, et entre ces deux horaires, tout est calculé pour que les séances coïncident et que le cinéma engrange plus de spectateurs, et donc plus d’argent, en ne laissant parfois que quelques secondes (sérieusement) entre le moment où le premier spectateur entre en salle et le début de la séance, au mépris de toute notion de confort et de plaisir pour le spectateur.
Lorsque c’est une salle pleine de 400 ou 500 spectateurs qui sont tous restés jusqu’à la fin du générique parce qu’il s’y passait quelque chose et que ces centaines de spectateurs doivent tous sortir en même temps par la même porte, la machine se grippe encore plus et la séance suivante (aka, les bandes-annonces) commence alors même que tout le monde n’a pas encore quitté la salle. Il y a quelques semaines aux Halles, alors que j’allais voir Alois Nebel, le beau film d’animation tchèque, c’est un autre problème qui s’est posé. Trois salles les unes à côté des autres passaient trois films commençant à la même heure et étaient contrôlées par un même employé du cinéma. Alors que la séance précédente d’Alois Nebel était terminée et la salle donc vide et attendant ses spectateurs, interdiction d’entrer en salle car l’ouvreur préférait que les deux autres films dont l’un serait fini trois minutes plus tard, l’autre cinq minutes plus tard, soient également achevés pour faire entrer les trois salles en même temps.
Et alors qu’Alois Nebel bénéficiait d’une dizaine de minutes de battement, et que nous aurions donc pu entrer en salle tranquillement, les deux autres se terminaient peu de temps avant le début de la séance suivante. Nous avons donc dû attendre le dernier moment, et comme à cet instant, l’ouvreur devait contrôler trois salles de spectateurs en même temps, cela prit un temps fou et le temps que nous entrions en salle, les bandes-annonces avaient bien sûr commencé sans nous.
J’en reviens donc au mépris du confort et du plaisir du spectateur parfois affiché par les cinémas. N’êtes-vous donc pas vous-mêmes cinéphiles, mesdames et messieurs les exploitants ? Avez-vous donc oublié ce qui fait le sel du cinéma ? Pouvoir entrer sans se presser et laisser l’atmosphère de la salle se fondre en vous… S’asseoir sans que l’on ait à se bagarrer avec un autre spectateur… Pouvoir se délecter des bandes-annonces qui nous donneront envie de revenir quelques jours plus tard… Laisser le film s’installer en nous à mesure que le générique de fin défile… Pouvoir quitter la salle à son rythme, le regard encore dans le vague… Et se dire que décidément, même si tous les spectateurs ne sont pas exemplaires, même si tous les films ne sont pas mémorables, il se passe quelque chose dans une salle de cinéma qui fait qu’y revenir est un désir irrépressible. C’est fou ce que quelques minutes de souplesse dans les horaires offre de plaisir…