Vous n'échapperez donc pas à la citation.
Soit un octogénaire marchand, riche mais parti de peu et loin de Paris, en voici le crayon par Rinaldi :
« L'homme appartenait à une famille de notaires, ce qui n'était jamais un handicap, et son père, puisqu'il refusait sa succession car ne le tentait pas l'avenir du notable de province à qui l'on pardonne ses goûts en amour à cause se son argent, lui avait avancé quelques fonds pour ses débuts dans l'immobilier, mais ce n'avait été, au commencement, que l'achat d'un appartement que l'on retape en vitesse avant de le revendre avec un bénéfice qui autorise l'acquisition de deux autres taudis[*], et ainsi de suite. On assurait même que, courtier en tableaux, courant les brocantes et les rues de Naples où les faux en peinture cuisent dans le four près de la pizza et y gagnent les craquelures des siècles, il avait exploité à ses débuts un stand aux puces, avec ce goût des objets sur lesquels beaucoup dans la tribu déversent le trop-plein d'un amour qui ne se trouve pas sans peine ni sans argent d'exutoire auprès des humains... Doté d'une santé à la Raspoutine que sa sobriété ménageait par surcroît, d'une sensualité de chien en rut chevauchant même l'ours en peluche qu'on lui jette, de son physique qui l'avait tant servi on n'avait plus idée [...] : en raison du dessèchement imputable à l'âge, de la dureté qui dévaste les traits, conséquence des moments de tension et des nuits blanches où le jongleur est beaucoup plus proche de la section financière du parquet que d'un restaurant tel celui du Palais-Royal [...]. Ne l'avait pas arrangé non plus le côtoiement de ses pairs, aujourd'hui ses amis, demain des adversaires, souvent des victimes [...]. On plaignait ceux qui avaient tenté de le rouler : méticuleux dans la vengeance, s'il avalait toutes les couleuvres il les recrachait en aspic [...].
Ah ! cette transsubstantiation de ces couleuvres en aspic. Peut-on mieux ?
[*] Un ami qui s'y connaît bien mieux que moi, dans le jargon du métier, m'assure que, à Montréal du moins, on parle de « poubelle ». Métaphore autrement colorée mais non moins juste.