Gunter Grass scandalise ?...
[ Un documentaire de l'émission Zone Libre Radio Canada.]
Ce que l’on conteste à l’auteur du Tambour, c’est plutôt son droit moral de dénoncer le silence fait autour du nucléaire israélien au prétexte de son passé. Mais la question que G. Grass soulève est des plus importantes puisqu’elle engage la responsabilité des actuels inconditionnels soutiens au gouvernement d’Israël, ce dernier étant dirigé par ce qu’il devrait être convenu d’appeler «des kamikazes d’Etat», prêts à réduire en cendres le Moyen-Orient pour défendre ses frontières et à jouer de ses relations économiques pour exiger le silence sur les violations du droit international qu’il commet sans discontinuer et sans vergogne.
En fait, G. Grass ne fait que remettre sur le tapis la question tabou du programme nucléaire israélien, qui date de 1954, et qui a débuté, soit dit en passant, en étroite coopération avec la France, qui elle aussi cherchait à se doter de la bombe atomique.
Tout serait évidemment beaucoup plus clair et moins conflictuel si Israël consentait à reconnaître officiellement la réalité de son appartenance au club des nations disposant de l’arme nucléaire et faisait la démonstration de sa capacité à vivre en paix avec le peuple palestinien. C’est loin d’être une demande exorbitante !
En attendant Gunther Grass, qui se reconnaît «une origine, entachée d'une tare à tout jamais ineffaçable», et voit concentrée sur sa personne quantité de ressentiments qui n’ont vraissemblablement rien à voir avec elle, fait aussi bien les frais d’une évidente hypocrisie que d'une paranoïa critique.
Il écrit :
« Pourquoi me taire, pourquoi taire trop longtemps
Ce qui est manifeste, ce à quoi l'on s'est exercé
dans des jeux de stratégie au terme desquels
nous autres survivants sommes tout au plus
des notes de bas de pagesC'est le droit affirmé à la première frappe
susceptible d'effacer un peuple iranien
soumis au joug d'une grande gueule
qui le guide vers la liesse organisée,
sous prétexte qu'on le soupçonne, dans sa zone de pouvoir,
de construire une bombe atomique.Mais pourquoi est-ce que je m'interdis
De désigner par son nom cet autre pays
Dans lequel depuis des années, même si c'est en secret,
On dispose d'un potentiel nucléaire en expansion
Mais sans contrôle, parce qu'inaccessible
À toute vérification ?Le silence général sur cet état de fait
silence auquel s'est soumis mon propre silence,
pèse sur moi comme un mensonge
une contrainte qui s'exerce sous peine de sanction
en cas de transgression ;
le verdict d'"antisémitisme" est courant.Mais à présent, parce que de mon pays,
régulièrement rattrapé par des crimes
qui lui sont propres, sans pareils,
et pour lesquels on lui demande des comptes,
de ce pays-là, une fois de plus, selon la pure règle des affaires,
quoiqu'en le présentant habilement comme une réparation,
de ce pays, disais-je, Israël
attend la livraison d'un autre sous-marin
dont la spécialité est de pouvoir orienter des têtes explosives
capables de tout réduire à néant
en direction d'un lieu où l'on n'a pu prouver l'existence
ne fût-ce que d'une seule bombe atomique,
mais où la seule crainte veut avoir force de preuve,
je dis ce qui doit être dit.Mais pourquoi me suis-je tu jusqu'ici ?
parce que je pensais que mon origine,
entachée d'une tare à tout jamais ineffaçable,
m'interdit de suspecter de ce fait, comme d'une vérité avérée,
le pays d'Israël, auquel je suis lié
et veux rester lié.Pourquoi ai-je attendu ce jour pour le dire,
vieilli, et de ma dernière encre :
La puissance atomique d'Israël menace
une paix du monde déjà fragile ?
Parce qu'il faut dire,
ce qui, dit demain, pourrait déjà l'être trop tard :
et aussi parce que nous - Allemands,
qui en avons bien assez comme cela sur la conscience -
pourrions fournir l'arme d'un crime prévisible,
raison pour laquelle aucun
des subterfuges habituels n'effacerait notre complicité.Et admettons-le : je ne me tais plus,
parce que je suis las de l'hypocrisie de l'Occident ; il faut en outre espérer
que beaucoup puissent se libérer du silence,
et inviter aussi celui qui fait peser cette menace flagrante
à renoncer à la violence
qu'ils réclament pareillement
un contrôle permanent et sans entraves
du potentiel nucléaire israélien
et des installations nucléaires iraniennes
exercé par une instance internationale
et accepté par les gouvernements des deux pays.C'est la seule manière dont nous puissions les aider
tous, Israéliens, Palestiniens,
plus encore, tous ceux qui, dans cette
région occupée par le délire
vivent côte à côte en ennemis
Et puis aussi, au bout du compte, nous aider nous-mêmes. »
Günter Grass Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni