Au moment ou la chancellerie demande l'annulation des poursuites contre TOTAL dans l'affaire de L'ERIKA, il est sans doute opportun de mettre en lumière ce qu'est un procureur. À quoi il sert. Et pour qui il travaille. Etude du cas de Monsieur Philippe Courroye et de son traitement de l'affaire Bettencourt.
Mais qui est Philippe Courroye ?
Enquête t’il vraiment, ou donne t’il simplement l’illusion d’une Justice en marche dans une affaire Bettencourt qui scandalise l’opinion ? Voici quelques éléments de réponse pour y voir plus clair.
En 2007 Philippe Courroye est nommé procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre (décret du 8 mars 2007 signé par le Ministre de la Justice ) et ce, contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature. Le Syndicat de la magistrature dénonce alors « un verrouillage par la droite des postes stratégiques ».
Moins de deux ans plus tard, on retrouve le juge Courroye. Il est l’homme du classement sans suite de l’affaire du duplex acheté à bas prix par Nicolas Sarkozy sur L’île de la jatte à Neuilly.
Le juge Courroye fait également l’objet d’un dépôt de plainte de la part de Charles Pasqua, qui lui reproche d’avoir mené une instruction exclusivement à charge dans l’affaire de L’Angolagate — le juge aurait disqualifié certains documents qui mettaient en cause certains hommes politiques de plus grandes envergures…
Malgré les critiques dont il est l’objet, Le 24 avril 2009, Philippe Courroye est promu officier de l’ordre National du Mérite par Nicolas Sarkozy.
A peine un an plus tard, voilà qu’on retrouve à nouveau le juge Courroye au centre d’une autre affaire en « gate », l’affaire Bettencourt, que certains désignent sous l’appellation de Woerthgate tant elle fait penser au Watergate. Le nom du fameux juge apparaît cette fois dans les enregistrements effectués au domicile de Liliane Bettencourt.
Le 12 juin 2009 en effet, une conversation est captée entre la milliardaire, son avocat Fabrice Goguel et le gestionnaire de sa fortune, Patrice de Maistre. Elle concerne l’affaire qui oppose alors Liliane Bettencourt à sa fille et dont le Juge Courroye est chargé.
Voici un extrait de ladite conversation :
Fabrice Goguel : « Je sors du bureau du procureur de la République. […] Il voudrait faire juger l'affaire par l'expert. Pour lui, en fait, l'expertise est une façon de ne pas avoir de décision à prendre lui-même. Donc, il est déçu que vous n'acceptiez pas l'expertise. » […]
Patrice de Maistre : « C'est Courroye qui est le nœud du truc. C'est pas Sarkozy, c'est Courroye. »
Liliane Bettencourt : « Il est gêné aux entournures. »
Fabrice Goguel : « Courroye aussi est très gêné. Il a très peur de devoir prendre une décision. Il pense qu'il y a des risques. C'est pour ça qu'il aurait préféré l'expertise, qui lui aurait évité le risque. »
Accablante conversation pour le procureur et pour l'institution judicaire toute entière. Les journalistes qui ont publiés cette conversation ont depuis été mis en examen pour atteinte à la vie privée de Lilianne bettencourt (on voit pas le rapport avec la choucroute). Ils sont poursuivis en réalité pour avoir outragé la Justice...
Mais revenons au juge Courroye...
A peine un mois plus tard, le juge Courroye va prendre la bonne décision dans cette affaire, et on va voir qu’elle inquiète déjà les plus hautes sphères du pouvoir. Là encore, les enregistrements sont accablants eut égard à la collusion des intérêts des uns et des autres.
Le 21 juillet 2009 une discussion à lieu entre Madame Bettencourt et son homme d’affaire Patrick de Maistre :
– L.Bettencourt : Vous êtes content ?
– P. de Maistre : Je suis très content. Pour vous.
– L.Bettencourt : Pourquoi ?
– P. de Maistre. : Euh, il faut vraiment que ça ne parte pas vers François-Marie [Banier] ce que je vais vous dire. J’ai eu l’Elysée et l’Elysée m’a dit que…
– L.Bettencourt : Qui ?
– P. de Maistre : Le palais de l’Elysée. Le conseiller de Nicolas Sarkozy. Il m’a appelé, il y a…
L.Bettencourt. : Sarkozy ?
P. de Maistre : Non, son conseiller juridique, à l’Elysée, que je vois régulièrement pour vous. Et il m’a dit que le procureur Courroye allait annoncer le 3 septembre, normalement, que la demande de votre fille était irrecevable. Donc classer l’affaire (ça a du se passer de la même manière dans l'affaire de l'Erika). Donc, voilà. Mais il ne faut le dire à personne, cette fois-ci. Il faut laisser les avocats travailler. Voilà.
« On nous reproche de nous connaître, mais cela ne l'a pas empêché de faire son métier, ni moi le mien. » déclarait pourtant avec aplomb Nicolas Sarkozy après avoir remis la médaille du Mérite au juge Courroye.
Seulement voilà, l’affaire qui aurait pu se terminer ainsi ne va pas s’arrêter là. Un témoignage accablant est publié dans Médiapart. D’après l’ex comptable de Madame Bettencourt, de nombreux hommes politiques sont passés chercher des enveloppes de cash, lors de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Monsieur Woerth, alors trésorier de l’UMP aurait ainsi reçu 150 000 euros.
Face à ces nouveaux éléments, que fait le procureur Courroye ? Ouvre t’il une enquête pour financement illégal de parti politique ou pour trafic d’influence ?
Non. Au regard des enregistrements ci-dessus mentionnés vous auriez du mal à l’imaginer, et vous avez raison. Le juge Courroye s’active au contraire sur la base d’une plainte contre X pour dénonciation calomnieuse, déposée par Eric Woerth, qui est directement visé par l’ex comptable de Madame Bettencourt et les enregistrements dans lesquels on apprend au passage qu’il a fait embaucher sa femme par… Madame Bettencourt.
Monsieur Woerth et Monsieur Sarkozy qui est lui aussi accusé d’avoir reçu de l’argent, ne portent pas plainte en diffamation contre la comptable et Médiapart qu’ils accusent pourtant de mentir. Ils choissent encore une fois de faire confiance à Monsieur Courroye.
Et en effet, aussitôt le juge saisi de l’affaire, ce n’est pas une pluie de mises en examen qui se produit, mais une semi rétractation du témoin principal.
A la suite des révélations de Clair T dans Médiapart, Des officiers de la police Judicaire ont en effet été dépêchés immédiatement par le juge Courroye au domicile de celle ci, elle est interrogé jusque tard dans la nuit sans la présence de son avocat et embarqué dans la foulée à Paris par les inspecteurs. Paniquée, elle finit par se rétracter en partie, notamment en ce qui concerne Monsieur Sarkozy. Charles Pasqua se plaignait d’avoir été uniquement instruit à charge, et bien dans l’affaire Bettencourt le juge Courroye n’a pour l’instant instruit qu’à décharge.
« Le mot pression me semble tout à fait adapté. ... absolument scandaleux l' acharnement du parquet à son encontre » dénonce Maître Gillot, qui n’est pas l’avocat de Liliane Bettencourt, ni de Monsieur Woerth, mais celui du témoin, la modeste comptable par qui le scandale est arrivé.
Depuis quand la fonction d’un procureur est de mettre la pression sur ses témoins ? On se le demande.
Entre temps et en violation du secret de l’instruction, des fuites semblent avoir été organisées au plus haut niveau de l’Etat, afin d’alimenter des contre feux dans le Figaro, mais aussi dans d’autres journaux tels que Libération et Le monde qui titrent aussitôt « la comptable c’est rétractée ».
Après une fin de semaine mouvementée, le lundi, en prime time, face à un David Pujadas qui ne posera pas de problème, Nicolas Sarkozy, peut apparaître calme et sûr de lui à la télévision. Il n’y a pas d’affaire Bettencourt, il s’agit d’un complot, et le juge Courroye est un excellent professionnel qui fait son travail en toute indépendance.
Depuis le procureur Courroye a tout de même été mis en examen dans une affaire connexe dite des "fadettes". La justice accepte d'être le larbin du pouvoir, mais il y a des limites... Certains juges tiennent encore à leur honneur.