Conseil Général du Puy-de-Dôme. Session du 27 mars 2012. Intervention de politique générale de Serge Lesbre au nom du Groupe de la Gauche Solidaire
Monsieur le Président ,
Chers collègues,
Je ne voudrais pas commencer cette intervention sans dire que notre groupe de la Gauche solidaire à une pensée émue pour Ludovic Lucot, notre camarade décédé, et qu’elle s’associe pleinement au chagrin de sa famille et de ses proches.
Par ailleurs, et bien que cela ne soit pas l’usage dans cette Assemblée, je vais poursuivre par une sorte de confidence intime. Cet hiver alors que le thermomètre cousinait chaque nuit autour de moins 10 à moins 20 degrés, j’ai vu, comme vous sans doute, au journal de 20 heures à la télé une femme qui, bien qu’ayant un emploi régulier, se disait trop mal payée pour arriver à se loger.
Le reportage nous la montrait en train de s’emmitoufler dans sa voiture pour y passer la nuit. Une travailleuse pauvre, parmi tant d’autres, me direz vous. Certes.
Sauf qu’à un certain moment elle s’est écriée au milieu d’une soudaine crise de larmes : « J’ai froid ! » Puis, elle a répété cette phrase plusieurs fois, d’une façon si poignante, si désespérée que c’en était déchirant ! Eh bien, je vous l’avoue, à cet instant précis je n’ai pu m’empêcher de pleurer…
C’était insoutenable !
Comme furent insoutenables quelques jours plus tard les larmes des ouvrières de Lejaby craignant de perdre leur emploi.
Comme sont insoutenables ces images de familles nombreuses vivant à 6 ou 7 dans une seule pièce délabrée.
Et tant d’autres situations toutes aussi tragiques les unes que les autres dans notre Département du Puy-de-Dôme comme dans l’ensemble du pays.
Que de pauvres gens partout autour de nous ! Que de souffrances !
Ces images me hantent !
Je repense alors à certains chapitres de Victor Hugo, d’Emile Zola ou de Charles Dickens décrivant les misères de leur XIXème siècle finissant. Je repense à Faulkner ou à Steinbeck témoignant de la grande crise économique de 1929 aux Etats-Unis.
Sommes-nous revenus à de semblables époques ?
Et, si c’est le cas, que convient-il de faire ?
Arrivé à ce point de mon intervention, je vous propose alors un retour en arrière et, pour l’introduire, je vous livre une première citation :
« Le Parti socialiste est un parti de révolution. Il ne propose pas seulement d’atténuer ; de réformer les abus de la société actuelle…Il veut transformer toute la propriété capitaliste en propriété sociale »
Qui donc s’exprimait ainsi ? Marx ? Lénine ? Rosa Luxembourg ? Léon Blum ? Eh bien non, mes chers collègues ! Il s’agit d’un texte manuscrit de Jean Jaurès, écrit en 1908 à l’occasion du Congrès de la SFIO de Toulouse.
Je soumets maintenant à votre réflexion une seconde citation : quel bolchevik hystérique a pu déclarer, je cite : « Celui qui ne consent pas à la rupture avec la société capitaliste, celui-là même ne peut être adhérent du Parti Socialiste » Trotski ? Staline ? Guy Mollet ?... Vous n’y êtes pas : il s’agit de François Mitterrand lors du Congrès socialiste d’Epinay en 1971, afin sans doute d’assurer sa mainmise sur le Parti.
Or, depuis, la fracture sociale entre riches et pauvres n’a jamais cessé de s’approfondir d’une façon dramatique.
Une infime minorité d’oligarques affiche aujourd’hui des revenus indécents, qui sont une insulte permanente à la souffrance du plus grande nombre.
Et puisque nous en sommes au chapitre des gros sous, dont il est souvent question ces temps-ci, je vous propose mes chers collègues, d’y regarder de plus près,.
Aujourd’hui comme hier, sachez-le, il n’y a pas trente-six façons de s’enrichir. Si l’on excepte le grand banditisme, le star-system, les jeux de hasard ou la spéculation financière - les uns et les autres soumis aux aléas que l’on devine - quel est la meilleure manière pour accumuler de l’argent ?
En vérité, depuis la plus haute Antiquité, la plus profitable et la plus répandue d’entre elles est celle qui permet au plus fort de faire travailler le plus faible pour son propre compte. C’est à dire, au sens strict du terme : de pratiquer ce que Marx appelait « l’exploitation de l’homme par l’homme ».
Ringarde cette expression, penseront sans doute les plus anciens d’entre vous ou quelques bobos aseptisés.
Peu importe : ringard ou pas ce concept désigne clairement un processus qui, depuis la nuit des temps n’a jamais cessé d’exister.
Faut-il préciser aux béotiens que l’ « exploitation de l’homme par l’homme » est l’ action mise en oeuvre par tout employeur ( de la plus petite entreprise artisanale ou boutiquière jusqu’aux gigantesques multinationales ), quand il achète au meilleur coût, la force de travail d’un autre homme (« le prolétaire » comme l’appelait Marx), ou d’une façon encore plus fructueuse, celle d’une femme, voire d’un enfant, tous contraints de se vendre dès lors qu’ils n’ont pas d’autres solutions pour survivre. Et ceci en toute légalité naturellement
Afin d’illustrer le propos, je vous livre une anecdote :
Récemment, un ouvrier mécanicien travaillant dans un garage réputé me questionnait ainsi : « Trouvez-vous normal que mon patron facture à ses clients l’heure de main d’œuvre à 60 -70 € tandis qu’il ne me paye celle-ci que 7 ou 8 € !…». En réfléchissant de cette manière, cet ouvrier décrivait d’une façon sommaire et sans le savoir bien entendu, le mécanisme fondamental de « l’extraction de la plus-value », qui demeure l’objectif principal de l’exploitation de l’homme par l’homme, un procédé également décortiqué très scientifiquement par Karl Marx, cent ans auparavant.
Et en effet, mes chers collègues, l’appropriation privée d’une telle plus-value illégitime sur chaque travailleur(euse), demeure, aujourd’hui comme hier, la seule façon de s’enrichir en toute légalité. Ce que Marx appelait « l’accumulation primitive du capital ».
C’est grâce à elle que, petits ruisseaux faisant les grandes rivières, la patronne de l’Oréal peut gagner 2 millions d’Euros par jour et que des P.D.G. en arrivent à se verser des salaires 1500 fois supérieurs à ceux d’un smicard. Le tout sans grands risques, exceptées ici où là quelques émeutes ou révolutions de la misère que le génie du capitalisme (voire, à défaut, ses chiens de garde institutionnels et autres affidés médiatiques) auront tôt fait de mâter, de criminaliser ou de tourner à leur profit.
Pour toutes ces raisons, on est donc en droit d’affirmer qu’en France comme dans le monde entier, la lutte des classes est loin d’avoir disparu, bien qu’elle ait parfois changé de forme, il est vrai. Et ceci malgré le silence des grands médias qui s’ingénient de temps à autre à occulter les manifestations les moins spectaculaires de son expression physique, derrière des écrans de fumée pipeules, quelques faits divers salaces ou des infos sociétales propres à distraire le populo.
L’objectif étant de masquer le fait que les intérêts vitaux d’une minorité d’extracteurs de plus-value divergent radicalement de ceux de l’immense majorité dont ils exploitent le travail.
Car si par malheur pour l’oligarchie qui nous gouverne, les intérêts réels du plus grand nombre venaient à se traduire dans l’expression du suffrage universel ou dans la rue les bouleversements que cela produirait seraient alors des plus dommageables pour le petit nombre des possédants.
Du coup, mes chers collègues, tout bien analysé, à une époque, la nôtre dans laquelle il est parfois difficile de distinguer nettement la frontière qui départage la Gauche de la Droite politique - c'est-à-dire de trier le bon grain de l’ivraie en quelque sorte -, l’exploitation de l’homme par l’homme n’est-elle pas le discriminant essentiel en la matière ?
Et si oui, ne pourrait-on pas fort logiquement énoncer qu’est de Droite toute personne qui considère comme parfaitement légitime la perception de la dite plus-value ; tandis que serait réputé de Gauche celui qui veut l’abolir ou, pour le moins, la rééquilibrer en faveur de ceux qui la subissent ? A chacun d’y réfléchir.
Quoi qu’il en soit, c’est bien là, au fond, que se situe le débat actuel sur la juste répartition des fruits de la croissance, via le niveau des salaires ou des traitements de fonctionnaires d’une part et, de l’autre, les arbitrages à mettre en œuvre en matière de fiscalité.
Qu’on se le dise !
Outre le scandale que provoquent les inégalités de toutes sortes, dans notre Puy-de-Dôme comme ailleurs, une autre préoccupation majeure de nos concitoyens, nous le savons, demeure l’emploi.
Ne pas en trouver ou en être privé, est souvent vécu par ceux qui en sont les victimes comme une véritable brutalité sociale, doublée d’une injustice majeure.
Mais de telles frustrations, ajoutées à l’angoisse d’un avenir perçu comme anxiogène, développent parfois chez nos concitoyens, un sentiment d’insécurité, qui peut se traduire par des pulsions de replis identitaires et des poussées d’intolérances tendant à stigmatiser ce qui est différent de soi. Avec toutes les tentations en faveur de l’extrême droite que cela suppose.
Or, derrière son masque de pseudo contestataire du système et sa formidable démagogie populiste, l’extrême droite, restera toujours le chien de garde de la grande bourgeoisie. Au point que, lorsque tout va au plus mal pour elle, les nervis néo-fascistes deviennent systématiquement les ultimes remparts d’un capitalisme déconsidéré.
il nous faut en convaincre les pauvres gens abusés et leur montrer qu’il n’y a pas d’exemple historique dans lequel les expériences fascistes ne se soient pas soldées par d’épouvantables catastrophes économiques, sociales et humaines pour les milieux populaires.
C’est pourquoi nous combattrons cette vermine jusqu’à notre dernier souffle.
C’est pourquoi, aussi, il est indispensable de mettre en œuvre un maximum de soins palliatifs (l’expression qui est hélas la mieux adaptée à la situation ), en direction des personnes et des entreprises touchées par la crise que nous subissons.
Et notre Assemblée départementale s’y emploie du mieux qu’elle peut, en fonction de ses moyens, en assumant de la sorte au maximum le rôle de bouclier social qu’elle revendique,
Mais il est tout aussi nécessaire, chers collègues, d’être convaincus que pour être vraiment efficace en la matière, il faut s’attaquer aux causes structurelles du chômage de masse en replaçant celui-ci dans son contexte global, c'est-à-dire dans celui de la mondialisation financière qui vampirise la planète.
Il en résulte pour notre pays, une désindustrialisation galopante, de massives délocalisations d’entreprises, la disparition de milliers d’emplois, la précarité professionnelle, un appauvrissement général, une inquiétante désespérance sociale et de graves difficultés budgétaires pour les collectivités locales.
Aussi à l’ordre du jour des personnes de bonne volonté, doit figurer non seulement l’indignation, mais tout autant l’appel à la résistance et à la mobilisation pour que les choses changent vraiment.
Or qu’en est-il actuellement ?
Depuis deux décennies, face à la dictature des marchés, c'est-à-dire face à la spéculation internationale, les gouvernements européens, qu’ils soient de « Droite » ou de la « Gauche » libérale ont partout fait la preuve de leur impuissance.
Trop souvent même, au prétexte de dettes à rembourser, ils ont rajouté de la crise à la crise en faisant payer par l’ensemble de leurs concitoyens, la cupidité des oligarchies transnationales. Et le pouvoir sarkozyste y a largement pris sa part.
Partout les gens n’en peuvent plus.
Or, pour sortir d’un tel marasme les propositions de la Droite, tout comme celles d’un improbable centrisme ectoplasmique ou d’une Gauche sociale-libérale, avant tout soucieuse de mettre en place un accompagnement « progressiste » de la crise, ne répondent plus à la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Face au chaos qui menace, une simple alternance politique pompeusement appelée « changement » - mais vivement souhaitable cependant - ne suffira pas à résoudre les problèmes qui nous assaillent. A l’évidence, une véritable alternative aux règles du jeu politique actuel est indispensable. Il les faut changer radicalement.
Pour cela un vaste rassemblement populaire est nécessaire, dont le « Front de Gauche » se veut l’une des prémices, sur la base d’un programme partagé qui place « l’humain avant tout » .
Dans notre système actuel, les élections présidentielles et législatives constituent un moment privilégié pour accentuer une dynamique prometteuse qui déplace d’impressionnantes foules lors de chaque meeting.
Plus de 100.000 personnes, par exemple à La Bastille pour écouter Jean Luc Mélenchon, vous rendez-vous compte !
Mais voter dans un mois en faveur du candidat du Front de Gauche au premier tour de l’élection présidentielle, ainsi que le fera notre groupe de la « Gauche solidaire » puis, au second tour, pour le représentant de la Gauche le mieux placé, n’est qu’un étape.
En effet, si son élection est nécessaire, elle est loin d’être suffisante. Une forte mobilisation populaire sera ensuite indispensable pour peser sur l’orientation de son programme, pour engager de véritables réformes et veiller à ce que les engagements pris soient tenus.
Comme en juin 1936, à l’époque du Front Populaire.
Se souvient-on en effet qu’en ce temps-là les acquis sociaux de la période ne figuraient pas dans le programme électoral des socialistes et des radicaux !
Ce sont les grèves de Mai-Juin qui les ont imposées au Gouvernement de Léon Blum !
Oui, mes chers collègues, vous l’avez compris, nous sommes en campagne électorale !
Oui, pas question pour nous donc de jouer les faux-culs !
Oui, nous assumons notre appel à voter Mélenchon en toute clarté !
C’est pourquoi, comme cela s’est réalisé en 1936 et en 1945, nous vous convions à rejoindre le processus de « Révolution citoyenne » qui est en marche et dont le « Front de gauche » se veut le fer de lance.
Afin notamment de :
Partager les richesses,
Lutter pour le plein emploi,
Etablir une planification écologique,
Instaurer une VIème République laïque, sociale et solidaire,
Promouvoir une Europe démocratique et pacifique,
Initier une mondialisation guidée par la coopération entre les peuples
Bref, pour tout dire , afin de prôner une insurrection civique en faveur de l’humain d’abord !
Car, mes chers collègues, à n’en pas douter demain le fond de l’air sera rouge !
Je vous remercie.