La déclaration d'indépendance de l'Azaouad (qui est en fait la sécession du Nord Mali) amène quelques commentaires.
1/ On peut bien sûr la lire avec beaucoup de clefs d’interprétation :
- la connivence avec l'islamisme : même si l'on semble s'apercevoir que le MNLA se distingue aussi bien d'AQMI que du le mouvement Ansar Dine d'Iyad ag Ghali (moins fort mais disposant de bonnes positions dans l'Adret des Ifoghas, voir ici) et du tout nouveau Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) qui vient de revendiquer l'enlèvement de diplomates algériens (ici). Bref, encore une fois, dire "l'islamisme" est tout sauf quelque chose de vraiment explicatif.
- autre clef couramment citée, la possibilité de ressources pétrolières dans le sous-sol de la région. Certes, à ceci près qu'il n'y a pour l'instant aucun forage efficace et qu'une éventuelle exploitation mettrait des années avant d'apporter un quelconque revenu. Toutefois, la promesse du pétrole est le signe d'une certaine revendication économique qu'il ne faut pas négliger, nous y reviendrons. Mais pour l'instant, "le pétrole est un mirage"
2/ Alors ? alors, derrière la vigueur des revendications touaregs qui peuvent se lire selon une grammaire traditionnelle (revendication des peuples, droit des minorités, ....), on peut ajouter quelques remarques.
source3/ Tout d'abord, que le pouvoir libyen de Kadhafi constituait, dans un phénomène de "pompier pyromane", une sorte de stabilisation du Sahara mais aussi du Sahel. On a beaucoup parlé du déversement d'armes venant de Libye. Je crois surtout qu'il y a eu déversement de soldats, autrefois employés dans les rang de la Jamarhiya. Les mercenaires sans emplois rentrent au pays ou trouvent de nouveaux maîtres.
4/ On remarquera par ailleurs la tendance au fractionnement régional. La première grosse alerte a été la Côte d'Ivoire : on l'a oublié mais il y a eu pendant dix ans un nord et un sud, deux quasis États séparés, même si les rebelles ne sont jamais allés trop loin. Et la passage de G'Bagbo à Ouatarra a sonné d'abord comme la réunification du pays, alors que l'alerte avait été très chaude. Ceci explique d’ailleurs la position de la CDEAO envers les putschistes maliens. Mais peut-être la cas ivoirien est-il le dernier exemple réussi... Car il y a incontestablement des tendances centripètes en Libye (entre l'Est, le Sud : cf es combats récents en limite du Tchad, ...)
5/ En effet, on remarque surtout la prolifération étatique (selon l'excellent mot de Pascal Boniface, signalé dans le cahier récemment publié par le CSFRS) en Afrique : cela a commencé il y a une quinzaine d'années avec l’Érythrée (1993). Mais cela semble s'accélérer : fragmentation continue de la Somalie, Soudan du sud l'an dernier (2011), Déclaration récente d'autonomie en Cyrénaïque, persistance des mouvements sécessionnistes au Nigeria : toute la moitié nord de l'Afrique est actuellement en proie à une balkanisation. Le grand danger sahélien, tient à ce que le peuplement touareg s'étend à travers plusieurs Etats.
source6/ En fait, il fait penser au cas kurde : une région qui a conquis son autonomie (le nord de l'Irak, avec d'ailleurs plusieurs mouvements rivaux), et des peuplements minoritaires dans tous les pays alentours. La déclaration d'indépendance de l'Azaouad est incontestablement un tremblement de terre géopolitique. Et les pays qui vont le plus réagir sont le Niger (même s'il a peu de capacités) et surtout l'Algérie : pour cette dernière, au-delà de la menace islamiste, la sécession touareg constitue une vraie menace à fragmentation : en effet, alors que l'Algérie était plus préoccupée de ses relations maghrébines (donc est-ouest), voici qu'elle voit désormais une priorité apparaître à son sud... un changement de priorité ?
O. Kempf
NB : Ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.