A rebours de son titre, ce livre apparaît comme une sagesse acquise, de haute lutte certes, pour arriver à dépasser la violence de l’histoire, collective ou individuelle, sans l’oublier. L’ensemble est constitué de six parties relativement autonomes, mais le poème liminaire est programmatique : « Ecrire ? / Oui, pour susciter présence / de toutes les vies / surtout les très minces // étoiles de mer / fourmi sur feuille de bardane // et la feuille même. // Peu, lentement, la vie / affleure au positif / et se suffit. // Sans glose. » (p.5)
D’entrée, c’est indiquer trois points d’attache : l’attention à la vie minuscule, le lien au monde non-humain, et la saisie radicalement positive de vivre, même s’il s’agit d’un affleurement lent. Parler d’un hymne à la vie pour ce livre serait trop : le chant de M.C. Bancquart est bien plus mesuré ; il intègre vieillir, la maladie, la mort. Et pourtant. Ce qui est visé reste bien un vivre tenace, têtu, partagé. Cela produit une oscillation constante entre lucidité et refus du désespoir, entre précarité et permanence, présence fragile mais évidente, bien imagée par le peuplier : « Un tremble / c’est le nom / du peuplier blanc, luisance furtive. // Eclairs des feuilles // leur vie scintille // instant après instant/ elles chuchotent / que nous avons aussi des moments miroitants / minuscules, étincelantes traces de nous sur le monde. » (p.108)
Il en va de même pour la poésie : aucune illusion d’éternité, mais conscience d’une longue chaîne historique qui y ressemble : « Ce qui est écrit dans le chant du feu / N’est pas écrit / pour toujours // scintille / puis s’étouffe //mais / d’un poète l’autre / au travers des siècles / court une étincelle / de violente vie » (p.62)
Ce rapport au temps est au cœur du livre, dans une sorte de travail pour contrer la séparation en étages étanches : temps animal (pour exemple la mort de Châtaigne, p.87), temps humain (l’hôpital, p.31), temps collectif historique (le passage du papier au numérique, p.34), temps cosmique (« cette longue haleine d’univers », p.10)…
Marie-Claire Bancquart tente de dépasser poétiquement ces rythmes que l’on distingue pour une vie pratique, usuelle, et il n’est pas étonnant qu’elle repasse incidemment par les correspondances baudelairiennes (p.49). On pourrait penser aussi à Guillevic, à Follain… Il s’agit de réconcilier notre vie périssable avec le temps beaucoup plus vaste qui est celui du vivant sous toutes ses formes : « Le caillou pauvre dans la main / fait partie / d’un être général » (p.43). Dans cette mesure, celle « du grand calendrier que nous ne connaissons pas » (p.128), une paix demeure possible, au-delà du « cercle rétréci des heures » (p.55). Au-delà aussi de la certitude d’une fin, et de la fragilité qui s’impose d’évidence avec vieillir : « Sur le tard quand on voudrait s’agripper aux choses / on éprouve qu’elles sont bien là // solides // mais ce qui tremble, c’est la main » (p.55). Aucune doctrine ou philosophie facile, plutôt une intuition sans assurance mais réconfortante : on ne va pas vers rien mais vers une dissolution de notre assemblage provisoire de vie dans la Vie : « Peut-être serons-nous ensuite / un ultratemps / un grain d’énergie / dans l’énergie générale des mondes ? » (p.56)
On l’aura compris, il s’agit d’une poésie de l’expérience qui se construit en pensée, mais sans aucun esprit de système. On part du rez-de-vivre et on essaie de voir comment il est encore innervé, quelle part de bonheur ou d’apaisement il permet. Au bout, se développe une morale de la modestie, presque de la rétractation sur la mesure du possible et l’acceptation sereine de la finitude pour retrouver, plus profonde et plus simple à la fois, une joie d’exister, d’être là, maintenant : « une célébration du temps qui reste » (p.104). « La vérité, c’est que / dans le soir qui tombe – sur ce chemin de rien du tout - / nous nous sommes rencontrés. / Tu as caressé ma joue. // Un homme, une femme, une campagne, qui ne paradent pas, // obstinés à vivre / encore un peu. » (p.111)
[Antoine Emaz]
Marie-Claire Bancquart - Violente vie
Ed. Le Castor Astral – 144 pages - 15 €