Makiko et Midoriko se retrouvent chez Natsu, la sœur de Makiko, et s’enferment dans son appartement exigu qui devient le siège de débats et d’échanges au sujet de la féminité. Tour à tour, elles livrent leurs ressentis, leurs désirs, leurs émois, leurs désillusions aussi.
Ainsi, Makiko exprime son désarroi parce que sa fille Midoriko ne lui parle plus depuis belle lurette et se sert d’un petit calepin pour écrire ce que sa voix a tu définitivement. Makiko s’inquiète aussi de ses seins avachis qu’elle rêve de faire remodeler, tandis que Natsu assiste bien malgré elle à ce funeste duo. Tout cela semble banal mais, au fil du récit, le huis clos prend une tournure très forte et scotche le lecteur.
En jetant un petit coup d’œil dans le carnet de notes de sa fille, Makiko va découvrir qu’elle se pose mille et une questions quant à son avenir de femme, la sexualité, le rôle de l’ovule et des spermatozoïdes, autant d’interrogations que suscite la puberté et que l’on préfère coucher sur papier plutôt qu’en parler …
L’auteur sonde l’âme de ces femmes d’un autre monde, belles et attachantes. Avec une plume un peu cruelle, elle nous éclaire aussi sur le Tokyo d’aujourd’hui, livre tout de go ce qu’est la société japonaise en général et invite le lecteur à s’imprégner de la vie de ces femmes, toutes trois animées de fantasmes, d’espoirs et de désillusions, dans un univers aseptisé où seul triomphent le silence et les secrets …
Et nous voici, le temps de quelques jours absorbés par la vie singulière de trois femmes en plein tourments désireuses de voir se réaliser leurs rêves les plus chers et abusant de discussions constructives pour y parvenir.
Un récit saumâtre et piquant qui nous fait esquisser une petite grimace en guise de sourire ou … de compassion.
Ici l’on parle de féminité et non de féminisme … Avec ses mots magnifiques, d’une grande finesse, l’auteur transforme sa plume en pinceau et dessine avec délicatesse la femme aux courbes fragiles et le lecteur se voit dans un salon, buvant le thé et s’émouvant de cette fresque dramatique.
De plus en plus admirative de la littérature japonaise, j’ai été une nouvelle fois éblouie par cette auteure que je ne connaissais pas jusqu’ores et qui trouvera sa place parmi mes lectures, aux côtés d’autres auteures japonaises déjà évoquées ici à travers mes billets de lecture.
« La nuit dernière, maman a parlé en dormant, ça m’a réveillée. Je me suis demandé si elle allait dire un truc drôle, mais elle a crié très fort : «Une bière, je vous prie !» D’abord, j’ai été surprise, puis ça m’a fait pleurer. Je n’ai pas pu me rendormir jusqu’au matin. Voir quelqu’un souffrir, ça fait mal, même si c’est quelqu’un d’autre. Pauvre maman. Oui, pauvre maman, depuis tout le temps. »
« Avoir des ovules ou des spermatozoïdes c’est la faute à personne, mais au moins on devrait éviter de les faire se rencontrer. »
Seins et œufs de Mieko Kawakami, éditions Actes Sud
Date de parution : 01/02/2012