L’incident n’est certes pas fondamental. Il n’en est pas moins révélateur. Il témoigne d’un pouvoir personnalisé qui s’est habitué aux mises en scène feutrées des déplacements présidentiels et aux basses flagorneries de l’entourage. Au point de finir par détester et craindre les éventuels contradicteurs. Sur ce point et malgré ses dénégations, Nicolas Sarkozy n’a donc pas changé: attendu au forum "Elle-Sciences Po" pour débattre avec des étudiants de la rue Saint-Guillaume, d’un programme qu’il avait annoncé le jour même, le chef de l’État s’est rétracté au dernier moment: "son équipe de sécurité a estimé que les conditions n'étaient pas réunies", a expliqué Valérie Toranian, directrice de la rédaction du magazine féminin et organisatrice de l’événement.
Chargée de "remplacer" Nicolas Sarkozy malgré la règle définie par le forum de n’inviter que les candidats à l’élection, Nathalie Kosciusko-Morizet, sans doute elle aussi habituée aux seules réunions de fervents partisans, a multiplié les maladresses et les formules arrogantes trahissant sa déstabilisation autant que son inexpérience: "Nicolas Sarkozy a bien fait de ne pas venir", a-t-elle lâché en évoquant un "traquenard". Des étudiants présents ont trouvé "abjecte" sa façon de faire porter la responsabilité de ces manifestations sur l’organisation, deux jours après la mort à New York du directeur Richard Descoings. Peu suspects de sympathie pour le Front National, des étudiants de cette institution marquée à gauche -une simulation d’élections organisée en mars dernier a donné François Hollande vainqueur au deuxième tour avec 65% des votants-, rappellent qu’avant Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen n’a pas craint d’affronter des discussions rugueuses sous une forêt de panneaux dénonçant son "islamophobie" et la "stigmatisation" des étrangers. Un courage qui lui a valu des applaudissements à la fin de sa prestation. Les étudiants se sont donc vengés de l’absentéisme présidentiel sur leur compte Facebook: "l’intervention de Nicolas Sarkozy a été à la hauteur de son mandat: il vient de nous poser un lapin", écrit l’un d’entre eux. Un autre enfonce le clou: "Sarkozy se dégonfle et a peur des étudiants anormaux que nous sommes", en référence à la petite phrase prononcée le 23 février dernier par le président visitant un centre de formation des apprentis à Tourcoing: "j’aime bien ces jeunes, avait déclaré Nicolas Sarkozy, ils sont normaux, pas comme ceux de Sciences Po". Le meilleur moyen sans doute de réconcilier les Français entre eux.
Malgré les pancartes brandies à l'entrée de Sciences Po "Don't panic, i'm muslim", "l'argument sécuritaire n'est pas crédible", affirme par ailleurs un étudiant présent dans le hall: "il n’allait rien subir physiquement malgré l’ambiance hostile". Un autre explicite l'attitude présidentielle: "En présence des caméras, Nicolas Sarkozy a sans doute craint ses propres dérapages verbaux en passant du hall à l’amphithéâtre sous les huées ou les quolibets". "Ce ne serait pas arrivé avec Alain Juppé", renchérit un troisième.
Ce jour là à Sciences Po, la "France forte" est apparue bien affaiblie.