Derrière ce titre volontairement provocateur, nous souhaitons attirer l’attention des internautes sur l’essor d’un phénomène de grande ampleur qui risque de bouleverser profondément le fonctionnement et la vivacité de la blogosphère et du Web 2.0 en général.
Ce phénomène est la judiciarisation croissante de la société et en particulier celle du canal web.
On assiste depuis peu à une véritable mode de la plainte et de l’intimidation de la part de certaines personnalités publiques (acteurs, people, représentants du star system) qui se mettent à attaquer de façon radicale n’importe quel site web ou blog pour n’importe quelle raison parfois sans discernement et au mépris de la connaissance du fonctionnement de l’Internet.
Typiquement, plusieurs affaires sont venues illustrer récemment ce phénomène :
- l’aggrégateur Wikio
- le portail Lespipoles.com
- et tout récemment le blog Fuzz
De quoi s’agit-il ?
Pour résumer, un avocat mandaté par une personnalité publique intente un procès spectaculaire à un site ou un blog pour avoir cité un lien ou une portion de contenu issus d’un autre site.
Dans le cas de Fuzz, il s’agit de “la publication d’un lien dans Fuzz (et rien d’autre qu’un lien, il n’y a même pas un extrait de l’article) renvoyant sur une rumeur publiée dans un blog people”.
Pour cela, l’animateur du site Fuzz reçoit “une assignation en référé au Tribunal de Grande Instance de Paris l’informant de la plainte d’un acteur français à son encontre”.
Concrètement, un huissier sonne à la porte de Fuzz et lui remet une ordonnance rédigée par un cabinet d’avocats.
Que reproche t-on à Fuzz ?
Le plaignant (on peut débattre de la pertinence de ce terme compte tenu de l’exagération parfaitement volontaire de la démarche des auteurs de cette manoeuvre) accuse Fuzz d’être le rédacteur ou du moins le “relayeur” ou “facilitateur”, comme on voudra, d’une rumeur de nature à porter atteinte à la vie privée de ce plaignant. Par dessus le marché, Fuzz est accusé d’attiser la curiosité dans le but d’accroître son chiffre d’affaires.
Quelles conséquences ?
Ce plaignant demande à Fuzz la somme de 34 500 euros (30.000 euros de dommages et intérêts, 4.500 euros en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, le retrait immédiat de l’article litigieux sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard, les frais de justice).
Cependant, l’intention manifestement lucrative de cette démarche n’est pas le véritable fond du problème. Même si on peut tout à fait comprendre l’angoisse actuelle vécue par l’auteur de Fuzz.
Le véritable problème est la continuité ou la disparition du Web 2.0.
Pourquoi ?
Si de tels procès sont gagnés, il est clair que tout un chacun ayant suffisamment de moyens pour se payer un avocat va commencer à intenter un procès démesuré à tout site petit ou gros ayant relayé une information présente physiquement sur un autre service et publiée par quelqu’un d’autre.
Les moteurs de recherche généralistes comme spécialisés (ceux qui indexent des flux RSS par exemple, les Digg-like ou encore les agrégateurs) sont concernés au premier chef.
En effet, la nature du fonctionnement d’un moteur de recherche fait que ce type d’outils Internet deviennent potentiellement attaquables par le simple fait qu’ils affichent des liens menant vers des sources à problèmes.
Pour rappel, un moteur de recherche ne produit habituellement pas de contenu mais ne fait que chercher et restituer - et cela la plupart du temps de façon automatisée - des liens pointant vers d’autres sites. Ces liens sont stockés dans une base de données et sont affichés suite à une action de requête (une recherche en d’autres termes) de la part d’un internaute.
Le moteur de recherche n’est ni plus ni moins qu’un outil et un intermédiaire entre un producteur de contenu et un lecteur.
La plupart du temps un moteur de recherche offre une véritable valeur à la fois aux producteurs de contenus et aux utilisateurs. Pour les premiers, un moteur de recherche offre de la visibilité à des créateurs de contenus qui trouvent, grâce à ce genre d’outils, une possibilité d’augmenter leur lectorat. Ce qui est le but de tout producteur de contenu ! Pour les seconds, un moteur de recherche permet d’avoir un point d’entrée unique et facile à mémoriser vers des contenus autrement dispersés parmi des milliards de pages web. En gros, un moteur de recherche est un “concentrateur” d’information, un lieu de rencontre entre une offre (la plupart du temps gratuite) et une demande de contenus.
Pour bien comprendre le fonctionnement d’un moteur de recherche, il faut savoir qu’il s’agit d’un ensemble de routines informatiques qui gèrent en temps réel des millions voire des milliards de liens pointant vers des contenus Internet rendant impossible la modération a priori (le contrôle avant affichage). Par conséquent, les moteurs de recherche ne diffusent jamais des contenus dans l’intention de nuire à quelqu’un.
Un moteur de recherche bien conçu doit même offrir une possibilité d’élimination d’un contenu considéré comme litigieux. Par exemple, chez Blogdimension si une personne se sent choquée ou atteinte personnellement par un lien fourni par ce biais, elle a toute à fait la possibilité d’en demander le retrait. C’est très simple, il suffit de signaler le lien litigieux via le formulaire de contact. Le lien est contrôlé manuellement par un membre de l’équipe Blogdimension puis purement et simplement retiré de la base. Cette activité est quotidienne dans les processus de gestion d’un moteur de recherche.
Or, ce qui arrive à Fuzz ne doit pas être pris à la légère par les acteurs du Web 2.0 et cela inclut également tous les sites et en particulier les blogueurs. En effet, Fuzz s’est vu directement attaqué et de façon totalement disproportionnée par rapport à ses ressources et intentions initiales sans même avoir été sollicité au préalables pour une solution négociée de retrait du lien.
C’est ce point en particulier qui pose problème et qui risque très rapidement de dégénérer en vaste opération de purge à connotation lucrative de la blogosphère.
Nous, Blogdimension.com, en tant que moteur de recherche, demandons à ce qu’un cadre légal intervienne afin qu’une clarification soit apportée immédiatement sur toute la chaîne de responsabilités quant à la diffusion des liens web.
Typiquement, nous demandons qu’une séparation claire et nette soit établie entre les auteurs de contenus litigieux et les systèmes d’intermédiation automatisés (par exemple, les moteurs de recherche, les Digg-like et les agrégateurs) quant à la responsabilité d’un contenu à problèmes.
Si cette clarification n’intervient pas, le risque est tout simplement que le Web 2.0 et tout un pan de l’économie numérique s’effondre par peur de devenir la cible d’attaques judiciaires incompatibles avec toute exploitation à caractère économique ou gratuite des ces outils.
Pour transposer ce qui arrive actuellement aux sites Web 2.0 nous allons faire l’analogie suivante : trouveriez-vous normal qu’un kiosque à journaux ou une librairie soit attaquée parce qu’elle a référencé dans ses rayons un magazine ou un ouvrage litigieux ? Si vous répondez par la négative c’est que vous avez tout compris des menaces qui pèsent sur l’économie du Web 2.0 !
Bien entendu, nous sommes ouverts, chez Blogdimension, pour participer à et animer tout débat constructif avec les acteurs concernés : ayants droit, blogueurs, systèmes de recherche, internautes, autorités compétentes et concernées.
Merci de votre attention sur ce sujet très délicat. Nul doute que vos enrichissements contribueront à forger un point de vue constructif, consensuel et respectant les droits et contraintes de chaque maillon de la chaîne.
NB : un sujet connexe devra également faire l’objet d’une réflexion prochainement : le duplicate content ou la duplication de contenus produits par des auteurs. Les acteurs du Web 2.0 seront tous concernés à un moment donné ou un autre par ces aspects du Web 2.0.