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Petit manuel juridique à l’usage des membres des cabinets qui cherchent à se recaser

Publié le 08 avril 2012 par Copeau @Contrepoints

La République reconnaissante sait récompenser ceux qui ont œuvré pour elle avec dévouement en leur réservant quelques places à la hauteur de leur abnégation. Vous aimez les voyages ? Devenez ambassadeur. Vous préférez rester à Paris ? Devenez avocat.

Par Roseline Letteron.

Petit manuel juridique à l’usage des membres des cabinets qui cherchent à se recaser
À deux semaines des présidentielles, il est temps de donner quelques conseils juridiques aux membres des cabinets qui veulent se recaser. Beaucoup sont déjà partis, qui dans une entreprise présidée par un membre éminent du Premier Cercle, qui à la Cour des comptes, qui dans une inspection générale, profitant des bienfaits du tour extérieur pour trouver un emploi bien rémunéré, récompense bien méritée d’années de dévouement.

Les couloirs se vident peu à peu, et ne restent sur le marché de l’emploi que les plus imprévoyants, ceux qui  se sont refusés à envisager une éventuelle défaite électorale, ceux qui n’ont pas pris le temps de réfléchir à leur avenir. Ceux-là sont aujourd’hui dans une situation difficile. Beaucoup de places sont déjà prises, et la concurrence est rude. Ces pauvres victimes ne peuvent guère compter sur Pôle Emploi qui ne leur offrira jamais des fonctions dignes de leurs immenses compétences et de leurs gros besoins financiers. La précarité les menace.

Heureusement,  l’Exécutif sait récompenser ces honnêtes travailleurs. Un certain nombre de textes ont été très opportunément adoptés pour élargir l’offre d’emploi. Tous ont en commun de reposer sur une conception très moderne de la validation des acquis professionnels. Le passage par un cabinet ministériel, ou mieux par l’Élysée, est le signe d’un talent précoce qu’il convient de récompenser d’un poste habituellement confié à des fonctionnaires ayant trente ans d’expérience. Vous êtes précisément l’un de ces « hauts potentiels » couvés dans les cabinets ministériels ? Différentes carrières s’offrent à vous.

Petit manuel juridique à l’usage des membres des cabinets qui cherchent à se recaser

Hergé. Les aventures de Tinitin, L'oreille cassée. 1943

Vous aimez les voyages et les Ferrero Roche d’Or ? Devenez ambassadeur.

Si vous souhaitez devenir ambassadeur en n’ayant jamais été fonctionnaire, vous avez de la chance. Ces fonctions prestigieuses sont accessibles par la simple grâce du Prince. Vous ne serez pas, du moins pas tout de suite, « ambassadeur de France ». Il s’agit là d’une dignité conférée à des diplomates anciens dans la Carrière. Mais vous pourrez tout de même devenir ambassadeur, c’est-à-dire chef de mission diplomatique. Vous avez d’illustres prédécesseurs dans ce domaine, par exemple M. Ruffin,  nommé au Sénégal, M. Karoutchi à l’OCDE, M. Rondeau à Malte, M. Dominati au Honduras puis au Conseil de l’Europe etc.

Si vous êtes déjà dans la Carrière, votre passage en Cabinet vous permet de sauter quelques étapes pour atteindre les fonctions enviées de chef de mission diplomatique. À l’origine, le décret du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires réservait ces emplois aux seuls ambassadeurs de France et ministres plénipotentiaires, autrement dit aux agents déjà titulaires d’une très solide expérience dans des postes de responsabilité. Il a été modifié par un décret du 29 décembre 1999 pour élargir l’accès à ces emplois, « à titre exceptionnel », aux conseillers des affaires étrangères hors classe. Mais ce n’était pas encore suffisant, et le décret du 25 mai 2009 permet désormais de faire appel « à des conseillers des affaires étrangères qui justifient d’au moins dix années dans un corps de catégorie A, dont au moins trois à l’étranger, et ayant démontré, notamment par l’exercice de responsabilités d’encadrement, leur aptitude à occuper ces emplois ». Deux mois après sa publication, ce texte bienfaisant permettait de désigner M. Boillon, conseiller diplomatique du Président de la République et, à ce titre, organisateur de la visite de M. Khadafi en France, comme ambassadeur en Irak.

Il est vrai que différentes nominations prises sur le fondement de ce décret sont actuellement contestées par la CFDT, qui n’hésite pas, l’insolente, à saisir le juge administratif. Le Président Sarkozy vient ainsi de nommer un de ses proches collaborateurs au poste d’ambassadeur en Indonésie. La CFDT fait un recours contre cette décision au motif que le nouvel ambassadeur n’a jamais exercé la moindre fonction d’encadrement. Tout le contentieux réside donc dans l’interprétation de l’adverbe « notamment ». Le texte affirme en effet que l’aptitude à occuper l’emploi doit être démontrée, « notamment » par l’exercice de responsabilités d’encadrement. Aux yeux de la CFDT, l’adverbe indique que l’impétrant doit avoir une expérience d’encadrement. Aux yeux de l’Exécutif, il est possible d’être chef de mission diplomatique sans avoir jamais été chef de quelque chose, et on peut démontrer l’aptitude du candidat par tout autre moyen. Le seul fait d’avoir été le conseiller du Prince est donc suffisant pour pour révéler une aptitude exceptionnelle aux fonctions de chef de mission diplomatique.

Le juge n’a encore rendu aucun jugement au fond. Le 26 mars 2012, le Conseil d’État a rejeté la requête en référé suspension contre la nomination du nouvel ambassadeur à Djakarta. Mais il ne s’est prononcé que sur l’absence d’urgence justifiant la suspension du décret de nomination. La décision au fond n’est pas encore rendue. Quoi qu’il en soit, ne soyez pas inquiet. Le Prince ne s’intéresse pas à ces recours initiés par un syndicat politisé. Il se prépare déjà à nommer un autre de ses amis à Brasilia. La Carrière vous est donc ouverte, et il est sans doute encore temps de solliciter une ambassade.

Vous préférez rester à Paris ? Devenez avocat.

Si vous redoutez les moustiques et préférez prendre tous les matins votre petit crème dans les bistrots du 7è arrondissement, devenez avocat. Inutile pour cela de connaître quoi que ce soit à la science juridique. Là encore, l’Exécutif s’est chargé de votre avenir. Un décret du 3 avril 2012 organise des « conditions particulières d’accès à la profession d’avocat ». Désormais toute personne qui justifie de huit années au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi est dispensée de la formation théorique et pratique du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Il ne s’agit pas seulement d’offrir une retraite honorable aux anciens parlementaires battus aux législatives, car cette possibilité de s’inscrire au Barreau est également offerte aux « collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique ».

A priori, le décret bénéficie surtout à vos camarades assistants parlementaires. Mais, en cherchant bien, vous avez certainement rédigé quelque projet de loi qui vous permettrait d’affirmer sans rire que vous avez « participé à l’élaboration de la loi ». Et peut être avez-vous commencé votre carrière comme assistant parlementaire du ministre dont vous êtes aujourd’hui le fidèle conseiller ?

Il vous restera tout de même à suivre une formation de vingt heures en déontologie. Mais vos fonctions au gouvernement ou à l’Élysée ont nécessairement fait de vous des spécialistes de la déontologie.

Rien n’est perdu. Il vous reste quinze jours pour trouver l’emploi idéal. Celui qui vous permettra de bénéficier d’une rétribution confortable en attendant patiemment le jour béni de l’alternance, et de votre retour sous les ors de la République.

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