Un trou sans fond. Si on lui demandait à cet instant précis où elle était, en supposant qu’elle trouve la force d’articuler quelques mots, elle répondrait qu’elle revient d’un trou sans fond.
Mais pour l’instant, la dernière chose à laquelle elle songe c’est bien d’ouvrir la bouche pour émettre la moindre parole. Ne pas faire de bruit, ne pas rajouter du vacarme au vacarme qui lui emplit le crâne. Un brouhaha élastique qui va et qui vient, comme une poire à lavement qu’on presse régulièrement et qui lui bat les tempes. La douleur lui vrille le cerveau au rythme du sang qui bout dans ses veines, car très certainement il a atteint un niveau proche de l’ébullition dont tout son corps souffre. Le seuil des Enfers n’était qu’une image jusqu’à hier, mais ce matin il semble qu’elle soit devenu réalité.
Elle pense « ce matin » instinctivement, parce qu’elle se réveille, mais de quel sommeil revient-elle ? Et dans ces conditions pourquoi serait-ce obligatoirement le matin ? La douleur reprend plus forte encore. Dès qu’elle tente de formuler une idée ou un semblant de pensée cohérente, son crâne se rebelle, les os se contractent empêchant ses petites cellules grises de s’activer. Ne pas paniquer, ne pas s’énerver et se ménager de longs temps de repos pour tenter de calmerla tension. Procédonsavec méthode.
J’essaie d’ouvrir les yeux, mais la lumière trop vive m’agresse horriblement ravivantla douleur. Cane fait rien. Je suis allongée sur un lit, je sens très bien le matelas et les draps sous mon bras. Je ne sais pas si c’est chez moi. N’était le tintamarre dans ma tête, je ne pense pas discerner d’autres bruits dans l’appartement, je dois être seule. Peut-être. Etrangement, je suis couchée sur un lit mais je suis habillée avec mes vêtements de jour. J’ai peut-être eu un malaise ?
Je vais bouger mes membres lentement ; mes jambes répondent à ma volonté, même si elles paraissent un peu lourdes et mes bras comme ankylosés. Je me sens courbaturée mais c’est toujours mon crâne qui me fait le plus souffrir, il pèse une tonne ou presque.
Mes yeux lentement, laissent filtrer la lumière et s’ouvrent petit à petit. Ma bouche est pâteuse et ma gorge sèche, la langue a sûrement doublé de volume tant elle prend de place. Je donnerais une fortune contre un grand verre d’eau fraîche. Oui, c’est cela, il faut que je boive quelque chose. Boire, rien que d’évoquer ce mot mon cerveau regimbe et me punit méchamment.
Lentement, des bribes de souvenirs me reviennent. Des verres, des bouteilles, beaucoup de bouteilles de toutes tailles et couleurs, les amis qui parlent fort, les verres qui s’entrechoquent, les conversations confuses qui s’estompent à mesure que la nuit devient plus profonde. Oui, bien sûr, tout me revient et les preuves sont encore devant moi sur la table.
Oh, la putain de cuite ! Que Dieu me damne si je rebois de l’aquavit un jour.
Munch Le Jour d’après (1894/1895) – Huile sur toile 115 x 152 cm – Oslo, Nasjonalgalleriet