Sarkozy esquive son programme

Publié le 08 avril 2012 par Juan
Jeudi après-midi, le candidat sortant avait donc présenté à la presse son programme. On a pu commenter ses mesures, déjà connues. Toutefois, Nicolas Sarkozy avait prévenu qu'il serait incomplet. Il voulait se garder des surprises jusqu'à l'entre-deux-tour. Il jouait à cache-cache avec la campagne.
Pire, il ne présenta en fait pas grand chose. Il était là pour le show, ne voulait pas qu'on s'attarde trop sur son texte.  Il en a profité pour annuler, à la dernière minute, sa présence à un forum sur l'égalité femme/homme organisé par Sciences Politiques et le magazine Elle. Il prétexta des conditions de sécurité pas assurées. En fait, une poignée de manifestants l'attendaient à l'entrée. Il a eu la trouille. Nathalie Kosciusko-Morizet, sa dir'com envoyée en remplacement, fut sifflée.
Le candidat Sarkozy de 2012 était-il devenu trouillard ?
En 2007, il était plus sûr de lui. Son programme avait été muri, travaillé, construit au fil d'enquêtes et de sondages, habillé de conventions thématiques durant l'automne précédent le scrutin. Son slogan - Travailler plus pour gagner plus - résumait ses propositions. Cinq ans plus tard, le contraste est saisissant. Même président, Nicolas Sarkozy était devenu coutumier de faux suspenses: combien de sommets annoncés comme décisifs ? Prenez le dernier, pour l'emploi, le 18 janvier. Sarkozy l'avait promis à Toulon le 1er décembre, avec ce ton de défi qu'il affectionne tant
Son programme présidentiel pour le nouveau quinquennat était devenue une arlésienne. Il y a 18 mois, on nous présentait Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet comme les deux chargés de son élaboration. Puis, au printemps 2011, ce fut Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture, qui les remplaça. Un temps, on cru qu'il allait être présenté début septembre, lors du campus UMP à Marseille. Hélas, Nicolas Sarkozy fit savoir qu'il lui était hors de question d'être lié par un programme avant l'année prochaine. L'exercice s'effondrait. La dynamique fut cassée.
Ce jeudi, le grand moment était arrivé, enfin. En fait de programme, ce fut une lettre. Le conseiller spécial Henri Guaino nous avait prévenu: « L'esprit de cette lettre est très simple. Nicolas Sarkozy s'est forgé (...), dans l'expérience du pouvoir, dans des conditions assez dramatiques, un certain nombre de convictionsOn nous prévint que le candidat sortant se réservait quelques annonces pour plus tard, jusqu'à l'entre-deux-tour.
A 15H, les quelque 400 journalistes impatients rassemblés dans une salle du siège de l'UMP reçurent enfin le précieux document, la « lettre de Nicolas Sarkozy au peuple français ». Une mauvaise langue avait soufflé qu'il s'agissait d'un résumé du livre inachevé que Nicolas Sarkozy avait finalement renoncé à écrire. A 15H11, le Monarque était enfin là. La mise en scène était curieuse: il paraissait tout petit, écrasé par un gigantesque slogan. « Après 7 semaines de campagne et à un peu plus de 15 jours du premier tour, j'ai souhaité faire ce point d'étape afin que chacun puisse comprendre dans quelle perspective se placent les propositions que j'ai proposées aux Français.»
Il justifia d'abord son retard à publier son programme, à 17 jours du premier tour:  « Il m'a semblé qu'il y avait une logique à proposer ses propositions à fur et à mesure...
Une campagne, c'est un moment d'écoute, c'est un moment de dialogue. Si on présente tout son projet au début de la campagne...»  il leva les yeux de son texte et grimaça un sourire... «
Ah... les vertus du dialogue... Il circule toujours dans des enceintes cerclées, cernées, barricadées. Depuis les heurts de Bayonne, ses parcours sont balisés.
La présentation du programme fut succincte. Un quart d'heure à peine, pour énoncer les grands principes ( «la sécurité après le drame de Toulouse», «compétitivité de l'économie française», «matraquage fiscal des familles et des classes fiscales promis par le candidat socialiste», «le combat contre les communautarismes», «la solidarité mais pas l'assistanat»), et se dépeindre, une fois de plus, comme l'homme de l'expérience: «J'ai, hélas, de l'expérience ». Il semblait exaspérer de constater l'injustice de son impopularité.
Sa conférence de presse fut un moment.
Il préféra railler ses adversaires, et d'abord moquer la perspective d'un pouvoir confié à d'autres que ceux de son clan. «Mais il est ridicule de dire aujourd'hui qui pourrait être Premier ministre ou ministres. Royal est présidente de l'Assemblée, Sapin déjà déçu, Moscovici dans le rêve, c'est grotesque, c'est choquant» . Fallait-il sourire ? Nicolas Sarkozy avait procédé à une douzaine de remaniements depuis qu'il avait élu, tellement son casting initiale était raté. Dès la mi-septembre 2007, nous nous inquiétions sur le blog Sarkofrance, de ce premier gouvernement de bleus.
Amis sarkozystes, rappelez vous tous les branquignoles que nous avons vu passer au gouvernement depuis 2007: Fadela Amara (et son plan anti-Glandouille d'août 2007), Rachida Dati (qui put braquer toute l'institution judiciaire jusqu'à son propre cabinet en quelques semaines), Bernard Laporte (qui fit lire la lettre  Christian Blanc (et ses cigares), Alain Joyandet (et son vol en jet), Laurent Wauquiez (qui cherchait des fonds privés pour son mouvement en pleine affaire Woerth), Rama Yade (qui ne cessa d'acumuler les bourdes diplomatiques), ou Christine Lagarde (qui nous conseillait le vélo quand l'essence fut trop chère).
Sarkozy dérapa aussi beaucoup. Ainsi compara-t-il les meurtres, les drames, les horreurs. Il était comme ça, Sarkozy, il avait toujours besoin d'une échelle. « Le traumatisme après le drame de Toulouse et Montauban est comparable à celui des Américains après les attentats de New York. »
Il n'aima pas la question du journaliste de Mediapart qui s'était glissé dans l'assistance, sur le fameux prêt inexpliqué et secret de 3 millions de francs qui lui permit d'acheter son duplex de Neuilly-sur-Seine en 2006... Il répondit à côté, de 10 ans trop tôt: «Je vous dirais simplement qu'entre 95 et 97, c'était une majorité de gauche. Si des prêts m'ont été attribués, il devait y avoir de bonnes raisons.» Il s'agaça aussi:  «Je reconnais bien là l'obsession de Mediapart sur ma personne, on n'y peut rien. Adressez-vous à l'Assemblée nationale».
Il était hargneux, impatient de convaincre, agacé de ne pas convaincre.