Comment en suis-je venu à ce projet de nature documentaire (genre nouveau pour moi) ? Cette question me revient maintenant que le livre sort et que, contrairement aux fois précédentes, l’écriture est déjà loin. Démarche intéressante que j’ai menée dans ce blog au fil des articles il y a de cela plus d’un an. La « promo » de l’ouvrage tout neuf m’amène à le feuilleter à nouveau afin de fournir des explications que je vais m’efforcer de rendre claires et précises.
La Rochelle est une ville de l’océan. Du centre-ville, on accède directement au port. A la différence des grandes villes proches (Bordeaux, Nantes), aucun fleuve ne la relie au reste du pays... Elle est délibérément tournée du côté de l’horizon de la mer et c’est ce qui fait son originalité, sa richesse, sa spécificité. Depuis des siècles, La Rochelle s’avance vers le grand océan du côté du vieux port et les trois silhouettes des tours de la Chaîne, St Nicolas et Lanterne, se dressent en figures de proue au fil du temps qui passe.
Je suis arrivé il y a cinq ans à La Rochelle avec un sentiment d’éblouissement et je ne l’ai pas perdu depuis. Ce qui saisit en effet le voyageur à La Rochelle (c’est d’ailleurs cet aspect qui a donné à l’écrivain Simenon l’envie de s’y installer), c’est la qualité de la lumière. La lumière éclaire diversement la ville, la creuse et la découvre. La révèle enfin à ce qu’elle est profondément : une cité fascinante, miroitante d’histoires et de secrets.
En marchant inlassablement le long des rues, le promeneur appréhende peu à peu ce que Baudelaire désignait comme « les plis sinueux des vieilles capitales »... Ville palimpseste dont la plus belle métaphore serait précisément cette « Tour de la Lanterne » ou « Tour des quatre sergents » qui a d’abord été un phare, puis une prison sur les murs de laquelle se devinent des graffitis inscrits dans la pierre (les plus anciens remontent au XVII° siècle).
Ce qui s’observe à l’échelle de la Lanterne s’observe à l’échelle de toute la ville : strates du temps, mots, signes lapidaires, couches successives déposées au fil des siècles et perceptibles dans l’atmosphère du lieu, les vieux bâtiments, les enseignes, les écussons (à l’angle des murs de certaines maisons protestantes), les trottoirs (certains pavés de la rue de l’Escale ont voyagé : ils viennent du Canada et ont servi de lest aux navires engagés dans le commerce triangulaire), le nom des rues (ces rues qui ont elle aussi changé de nom et dont la signalétique ancienne se distingue encore à l’angle de certains murs (place Verdun, Place des Armes...)
Certes je leur trouvais du charme à ces brillantes projections qui semblaient émaner d’un passé mérovingien et promenaient autour de moi des reflets d’histoire si anciens (Proust).
Pour organiser ce labyrinthe de l’histoire et du secret, « les Cent Tours de la Lanterne magique » proposent au lecteur de passage dans cette ville, un cadastrage à travers les multiples noms de rues qui superposent au présent des échos, des éclairs de temps passé. En même temps qu’il s’aventure tout au long des rues, et dans un rayon qui reste limité, le promeneur remonte le cours du temps et des événements et soulève un coin du mystère de cette ville. Des temps les plus anciens voire mythiques aux temps les plus récents...
Quelques exemples ?
« Oyez dans les noires nuits de galernes, le cri, la longue plainte du vent, la douleur de cette âme errante et quêtant son absoute. Oyez, ô bonnes gens, ces longs gémissements ! » Paroles de la belle naufrageuse Myria (Avenue de la Repentie), chaîne de Gargantua (rue de la Chaîne), Aliénor d’Aquitaine (rue de la Monnaie), Templiers (rue du Temple), activité marchande (rue des merciers, des Cloutiers, du Minage), splendeur de la Renaissance (Hôtel de Ville et silhouette d’Henri IV), temps troublés de la Réforme (Statue de Jean Guiton), période prospère du commerce triangulaire entre la Rochelle et Saint-Domingue (Musée du Nouveau Monde, hôtel Fleuriau), ironies du libertinage (Laclos et hôtel Duperré dans l’une des cours intérieures du lycée Dautet), vague orientaliste au cœur du XIX° (statue de Pierre Loti), vague romantique (la tombe de la prétendue fille d’Alfred de Musset et de George Sand dans le cimetière Saint Maurice), promenades rimbaldiennes dans les allées du Mail, sortie et badinage en mer du côté de l’ile de Ré avec l’ami Maupassant, occupation allemande (bunker secret sous quatre mètres de béton en plein centre-ville), roman noir et arcades plongées dans la brume (quai Simenon et « fantôme du chapelier »)...
Autant de sollicitations diverses qui remplissent l’espace et qui font revenir à la surface de la promenade, en même temps que des visions, le souvenir plus ou moins vague de grands textes littéraires redécouverts au fil des rues. Ces textes viennent à la rescousse. Ils sont portés par les vents du large, ils filent entre les voiles, entre les mâts, glissent sur les trottoirs, remontent le long des murs, retombent sous l’appareil photo. Ils disent La Rochelle, ou bien disent simplement le monde. Voguent entre le port et la mémoire. D’un côté, parce qu’ils parlent du lieu : Rabelais, Laclos, Balzac, Loti, Musset, Simenon... de l’autre, parce qu’ils laissent un sillage derrière eux : Villon, Marguerite de Navarre, Agrippa d’Aubigné, Montesquieu, Voltaire, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Hugo, Flaubert, Proust, Brassens, d’autres encore...
La Rochelle est une porte ouverte sur le large. J’ai aussi, à travers cette recherche documentaire et imaginaire, préparé une fiction fondée sur des analogies avec deux autres lieux chargés d’histoire et de légende. La ville de Nantes (particulièrement marquée elle aussi par le commerce triangulaire) et l’Ecosse vers laquelle menaient certaines routes maritimes (et notamment celles qui ont permis aux derniers Templiers de s’embarquer de La Rochelle et d’aller trouver un refuge auprès des chefs de clan). Signes, bateaux, souterrains, confrérie secrète... Tous les chemins secrets mènent le lecteur entre St Domingue, l’ile de Skye, Nantes et La Rochelle dans l’ouvrage à paraître tout prochainement chez Alter Edition : « De Nantes à La Rochelle sous la bannière des fées ».