« C’est cette historicité dominante que l’Afrique doit contempler pour trouver cette lumière perdue…»
LA NR/ Après le récent putsch qui vient d’avoir lieu au Mali, à quelles conséquences pourrait-on s’attendre sur la stabilité des pays du Sahel ?
Le récent putsch qui vient d’avoir lieu au Mali témoigne, à fortiori, le climat d’instabilité politique qui règne dans le continent, malgré quelques zones constatées de paix considérable. Dans ce tohu-bohu, la démocratie est loin d’être sur une assise solide. Sa fragilité est dominante. La vitrine démocratie longtemps affichée par le Mali est éclaboussée par ce coup d’arrêt assené par la junte militaire qui s’est emparé du pouvoir. Oui, la stabilité des pays du Sahel est mise en branle dans cet affrontement entre d’un côté les Touareg et de l’autre la junte malienne. Les conséquences sont, à mon avis, duales: soit l’avenir se dessine dans la solution apaisée de cette région avec l’arrivée prochaine du nouveau gouvernement qui prônera de nouvelles mesures; soit le statu quo demeura. Et en perspective l’éventuel scénario catastrophe dans l’avancée irrésistible de MNLA, ce groupe de rebelles Touareg dans le contrôle des villes stratégiques. Et par conséquent la coupure du pays en deux, la perte d’unité nationale. Mais, dans tous les cas, je souhaite rapidement que cette partie de l’Afrique, si riche et capitale, trouve un cessez-le-feu et une paix profonde qu’elle mérite.
LA NR/ L’occident défend une vieille idée de l’Afrique dans laquelle il contrôle tout à travers ses hommes de mains et s’accommodent volontiers d’une misère de masse. Ne pensez-vous qu’il est temps pour que cela change ?
Indubitablement, il est temps que cela change. Si le changement est…il viendra à coup sûr de l’Afrique elle-même. En faisant fi de cette idée surannée qui entérine et perpétue la misère effroyable. L’heure a déjà sonné pour le changement du continent africain. Mais tout cela reste en état embryonnaire pour une éclosion réelle et visible. Dans le passé, l’Afrique était ankylosée et incapable de réagir face aux éléments coercitifs extérieurs. Aujourd’hui, un autre vent assiège l’antre dominé africain. Du nouveau germe dans la pensée libre du peuple et dans sa vision de forger un autre avenir. Des cris retentissent et des soulèvements gagnent, ici ou là à l’intérieur des états. Ce sont des preuves indéniables de ce temps de changement en marche. Cela étant, il faut des moments d’attente et de maturation aussi. L’Horizon s’éclaircit et demain se profile radieux. J’en suis persuadé!
LA NR/ Le 17 décembre 2010, jour précis où l’Union Européenne annonçait d’avoir à l’unanimité choisi le camp de Ouattara dans la crise Ivoirienne, contre Laurent Gbagbo, la Chine nous annonçait d’être devenue la première partenaire commerciale du continent africain en publiant les chiffres de 10 mois d’échanges avec les pays Africains. Quelle interprétation pourrait-on faire de ce message ?
Dans la crise Ivoirienne l’Union Européenne avait choisi son camp. Une stratégie favorable pour la défense de leur acquis et intérêt en jeu. La Chine, hier encore, inopérante est devenue en laps de temps un partenaire commercial de premier plan en Afrique. Une grande première. En supplantant les autres concurrents et privilégiés séculaires. Par ce fait, la Chine a réussi un coup de maître en renversant le rapport de force. Le message est éloquent et en dit long dans la stratégie qui se trame dans les cerveaux des leaders de l’empire rouge. Celle de la conquête du monde. Une démonstration éclairante dans le terrain d’échange et commercial assiégé, dominé par la Chine et une perte de champ de prédilection pour les autres. C’est un avantage pour l’Afrique en quête de sortie de crise et une nouvelle opportunité de partenariat propice au regard de l’échec considérable avec les autres. Mais tout reste à voir dans le long terme et à juger dans les résultats récoltés postérieurement dans la concrétisation des projets de croissance et de développement tant attendu.
LA NR/ Au-delà des choix partisans pour l’un ou l’autre président élu ou réélu, certains analystes pensent qu’il y a une autre bataille, celle là, à distance qui est en train de se jouer entre la Chine et l’occident en Côte d’Ivoire. D’après-vous quels sont les enjeux de ce bras de fer opposant l’Occident (Europe/USA) et la Chine sur le sol africain ?
S’agissant du bras de fer qui oppose l’Europe, les USA et la Chine sur le sol africain, c’est avant tout comme je l’ai souligné plus haut un enjeu stratégique et de conquête de leadership mondial. Chacun cherche à devenir l’interlocuteur incontournable et privilégié. En demeurant l’élément moteur dans le rôle prépondérant à jouer sur l’échiquier du marché international. L’Afrique a toujours été le foyer de multiples conflits ou d’affrontement permanent entre les états possédants dans la quête du profit et d’enrichissement hors de leurs frontières nationales. Cette bataille en est une. Une illustration frappante de l’assujettissement et de la domination perpétrés par ces différents camps. Avec une idée obscène le recul de l’Afrique et la non émancipation voire la liberté affirmée. A l’inverse d’une ambition de progression qui anime le peuple africain dans son entièreté.
LA NR/ Dans ce bras de fer, les Occidentaux ont-ils encore la force et l’audace pour résister longtemps au rouleau compresseur chinois ?
L’occident uni reste une force de frappe puissante. Mais la Chine seule est capable d’engloutir cette force et entamer l’audace. Avec son taux de croissance annuelle record qui fait d’elle le géant ou la grande créditrice mondiale. La Chine reste actuellement le champion du monde en matière d’investissement et d’exportation. On ne peut faire face à une économie forte sur laquelle vous vous reposez. C’est le cas aujourd’hui des occidentaux, à moitié tributaires des fonds chinois et courbant l’échine devant cette nation souvent décriée par sa politique de piétinement des droit de l’homme, et celle de sa vision de communisme rampant voilé par un semblant de libéralisme affiché. Oui le rouleau compresseur Chinois continuera de marcher sur l’occident en perte de vitesse et en proie à des crises multiformes. Mais l’avenir étant dans les genoux des dieux, tout peut changer d’ici là. Car aucune nation au monde n’est détentrice infinie d’une bonne santé économique voire politique. (-Les quelques frémissements ou ralentissements de la croissance de la Chine observés ces jours-ci peuvent jeter le trouble dans l’avenir. D’où la probable réinvention du modèle dit hyper croissance se profile en filigrane). Tout arrive, hélas, au gré des impondérables et des soubresauts d’une conjoncture internationale, sans cesse mouvante et versatile, difficilement contrôlable par les politiques, les Etats, les agences de notation et les marchés financiers.
LA NR/ « Aujourd’hui, le développement de l’Afrique est une question de choix décisif dans le positionnement géostratégique de chaque pays. L’alliance avec l’Occident sur le point de déposer le bilan, me semble un choix suicidaire, parce que le résultat est connu d’avance : misère garantie comme plat de résistance et dettes pour dessert », disait un analyste. D’une part, partagez-vous cet avis ? Et d’autre part, les africains sont-ils conscients de ces choix stratégiques?
Je ne partage pas totalement cet avis, bien que le bilan de l’alliance avec l’Occident soit somme toute négatif au regard de la situation actuelle qui n’est guère reluisante et exploratrice des possibles. C’est vrai, le choix de l’Occident n’est point favorable pour l’heure. Mais suicidaire ? non! Car l’Afrique a besoin de l’apport financier et soutien technologique et bien d’autres, malgré l’expérience passée assez calamiteuse et si compromettante pour une réussite certaine. Ce faisant, il me semble propice de redéfinir cette alliance non concluante et bien moribonde. Elle doit être fondée sur la réciprocité, la transparence, l’équité, l’égalité et l’entente cordiale ; dans toutes les sphères où repose la coalition, en mettant l’accent sur les choix stratégiques créateurs de richesses et des projets d’investissements bien ciblés et crédibles. Dans la formation, l’industrie de pointe, l’agriculture, la pèche, l’élevage, l’énergie…Qui doivent jeter les bases d’une indépendance et d’une souveraineté sans faille. Les Africains restent bien conscients de l’ampleur de ces choix tactiques pour sortir du marasme sans perspective.
LA NR/Entrer sur la scène mondiale, comme de vrais protagonistes économiques. Est-ce possible au moment où les africains semblent des spectateurs passifs face à la confrontation et la dispute Occidentalo-Chinoise sur le sol africain ?
Justement, c’est ce sentiment de défaitisme et de passivité qu’il faut élaguer dans la conscience collective et vision constructive que l’Afrique doit vanter dans l’espoir des lendemains meilleurs. Le pessimisme ambiant génère une énergie si asphyxiante pour sortir d’un guêpier. Ce faisant, elle doit se détacher de cet étau pour entrer de plain pied sur la scène mondiale souvent gangréné par un protectionnisme déguisé et une concurrence déloyale. Ses possibilités résident dans la volonté, dans l’effort et dans le maintien malgré ses faiblesses, ses manquements dans l’insertion de ce marché ou tout se crée, se décide, se gagne et se développe en se confrontant et se rivalisant avec les nantis, ce duo occidentalo-Chinois qui semble tout accaparer, amasser et dominer par sa puissance économique, voire recoloniser pour perpétuer et pérenniser à tout jamais leur véto et diktat notoire. Ce n’est que par ce biais que l’Afrique cessera d’être spectateur passif pour devenir un acteur indispensable, ce vrai protagoniste dépouillé de tout complexe et doté de son propre arsenal économique dérivé de ses matières premières et main d’œuvre abondante.
LA NR/L’Afrique est un riche continent où les populations vivent dans la pauvreté. Comment expliquer cette dissonance économique africaine ?
L’Afrique est un riche continent et un peuple dormant sur un lit doré. Cependant, elle reste dans un état de misérabilisme total. Ce contraste et cette dissonance économique sont des faits illustratifs d’un continent patraque et qui manque cruellement de force et d’énergie nécessaires pour prendre à bras le corps son destin de vie et de mettre en lumière ses potentialités, ses compétences et ses richesses à foison. C’est l’inertie d’action qui l’envahit dans le processus de croissance et de développement économique, social, politique, environnemental et écologique. Tout est dans la bonne gouvernance, la gestion efficiente des ressources nationales et dans la redistribution équitable de celles-ci. L’élite au pouvoir n’arrive guère à faire de l’économie l’élément moteur. Reléguée au second plan, l’économie étouffe l’éclosion de l’entité sociale qui montre à l’évidence l’érosion sans fin de la pauvreté massive et des inégalités criardes. C’est tout le pont entier de l’Afrique qui s’écroule dans cette orientation de politique interne inefficace. Il faut des politiques économiques opératoires qui mettent l’accent sur la promotion des initiatives privées sur le lit des institutions solides pilotées par un état libre. Qui ne s’engage pas dans les activités où il réussit mal par ce que ce n’est point sa vocation. Pour ce faire, il faut mettre fin aux antivaleurs: la corruption, le gaspillage, la gabegie, le clientélisme,… Qui rongent les états. Cette stratégie fondée sur la croissance et l’emploi permettra le développement rapide du pouvoir d’achat des ménages et par conséquent suscitera l’augmentation de la consommation interne et celle des exportations réduisant les importations excessives. Par l’effet d’entrainement, la dette sera réduite et la sortie de crise se fera jour dans bon nombre des pays africains sous perfusion de l’austérité ou politique de rigueur. Ces programmes d’ajustement structurel préconisés et véhiculés par les institutions financières internationales, notamment le Fonds et la Banque mondiale.
LA NR/Avec ses potentialités économiques et ses ressources l’Afrique serait-elle en mesure d’aller à la conquête du monde ? Si oui, quels seraient les leviers et les mécanismes à activer pour réaliser cet objectif ?
Oui, l’Afrique, avec ses acquis économiques et ressources abondantes, est capable de rivaliser avec les plus grands d’aujourd’hui et devenir elle-même le géant baobab mondial. Car, l’Afrique est un géant endormi et peut, en se réveillant, être le continent puissant. A l’image d’hier, des dragons d’Asie et celle d’aujourd’hui des nations naissantes comme l’Inde, la Chine, le Brésil et des économies florissantes de l’occident. Ainsi, l’Afrique doit forger son propre modèle économique reposant sur ses valeurs intrinsèques. Le mimétisme ou le modèle importé a conduit à des échecs cuisants partout en Afrique avec comme cortège de maux l’appauvrissement massif et le surendettement colossal. Les leviers nécessaires demeurent l’exception africaine basée sur les atouts essentiels. Avec ce socle paradigmatique, l’Afrique unie et solide résoudra ses problèmes internes et sera à même de conquérir le monde en s’appuyant et imposant sa marque singulière. Ce modèle spécifique ouvert aux apports extérieurs dans la logique des principes de coopération et de l’échange des compétences diversifiées, donnera à l’Afrique nouvelle les moyens de s’affirmer sur l’échiquier international. Une présence et une force qui feront d’elle le rayonnant continent comme jadis. C’est cette historicité dominante que l’Afrique doit contempler pour trouver cette lumière perdue dans l’indolence, la domination, les conflits intérieurs, la pauvreté, les maladies et la crise accrue.
LA NR/Aujourd’hui on assiste à cette crise économico-financière qui secoue l’Europe. N’est-ce pas là un échec de l’ultralibéralisme ?
Tant il est vrai, la crise économico-financière qui secoue l’Europe montre l’échec patent des postulats de base du paradigme de l’ultralibéralisme. Cette pensée unique qui s’est propagée à l’échelle mondiale n’a fait qu’obérer les états nations et entraîner l’enrichissement des rentiers en chef qui ont bénéficié des gains d’aubaines issus de l’abstinence imposée au corps social comme l’a écrit fort justement le grand circuitiste français Alain Parguez. L’Austérité mise en avant par les économistes de l’offre, n’a nullement sortie les nations du tunnel de la crise économique. Le marché roi et dictateur a entrainé le chômage massif, a perpétré les injustices et augmenté les inégalités sociales. En chassant l’étatisme dans la sphère économique, les néolibéraux ont voulu enterrer la théorie Keynésienne. Une erreur ou faute doctrinale que ces détracteurs payent aujourd’hui dans leurs mécanismes autorégulateurs. Les marchés ont détracté les structures profondes en laissant échapper les bulles financières et en entretenant les fausses promesses qui ont englouti l’économie du monde dans la mer de la crise sans précédent.
LA NR/Actuellement, aucun dirigeant Européen ne sait quoi faire pour venir à bout du déclin de l’Occident et que partout, c’est de la Navigation à Vue. D’autant plus que ce sont les spécialistes économistes Européens qui parlent de leur incapacité à comprendre ce qui leur arrive. Comment expliquer cet état de fait ?
Evidemment, le déclin de l’Occident montre que son bateau est ivre et en perte de vitesse. A cet effet les dirigeants européens sont désemparés et ne savent plus sur quel pied danser. De plus, les spécialistes économistes Européens sont perdus dans leurs analyses et solutions salvatrices. Incapables, ils s’enlisent dans les propositions hasardeuses et hâtives. Tout semble leur échapper. Car l’économie est parfois cette nature indomptée et difficile à comprendre et à appréhender. Cet état de fait s’explique amplement par la crise qui secoue de plein fouet l’Union. Cette crise, née aux USA, a provoqué des remous. Les économistes ont conseillé les politiques de mener des réformes par le biais de la politique de rigueur. Cette stratégie a suscité partout des indignations et le rejet total des populations. Les indignés sont nés avec la compression de demande interne, la perte d’emploi, les licenciements abusifs, le gel des salaires, la fermeture des usines, la vague des délocalisations, la hausse de prix… Dans ce tourbillon de la crise les pays comme la Grèce, l’Italie, l’Espagne…ont basculé dans l’endettement massif et dans le trou du déficit public abyssal. La France a perdu son triple A et l’Allemagne, meilleure élève, est aussi inquiétée dans cette décadence des autres Etats. Cette érosion montre que l’Europe est dans une passe difficile. Le manque d’une cohérence politique et d’harmonisation fiscale mine l’Union. (cf mes articles à ce sujets :
http://ynkodia.unblog.fr/2012/01/16/%C2%ABle-naufrage-du-fameux-triple-a-francais%C2%BB/ ou http://ynkodia.unblog.fr/2010/03/02/leurope-esseulee/).
LA NR/Les États-Unis, la Grande-Bretagne et Israël, ont décidé d’étendre leurs aires d’influence sur le continent africain. L’Afrique ne serait-elle pas en passe de devenir l’un des principaux terrains du « choc des civilisations»? Quel avenir pour l’Afrique dans ces conditions ?
Je ne pense pas que la présence des USA, la Grande Bretagne et l’Israël va étendre les aires d’influence sur le continent africain et que ce dernier deviendra ce foyer incendiaire du « choc des civilisations », sur des valeurs, de religion, de langue, d’histoire, d’habitudes et d’institutions…ces aspects qui définissent le concept de civilisation. Car, ces Etats ont toujours existé sur le terrain africain et leur présence n’a nullement changé la donne et imposé largement leurs idéaux. L’opposition des civilisations dans le monde est prédominante avec comme substrat le religieux qui occupe le noyau central. Oui, cet essaim des pays dans notre champ africain attise une guerre de modèles et la culture véhiculée amplifie le choc. Mais par delà, l’Afrique gardienne du terrain reste consciente et optimiste pour l’avenir en édifiant un paravent nécessaire pour échapper à cette intrusion ou immixtion contestée, transformant son sol en un gigantesque choc des civilisations. Dans ces conditions, l’Afrique en crise, mais berceau de l’humanité s’identifiera à sa civilisation millénaire. Celle qui l’honore malgré ces assauts culturels venus d’ailleurs. Bien sûr, les aires anglo-saxonnes traversent l’Afrique et la tentation est grande de céder à ces sirènes politiques notoires en cette période morose et de processus démocratique non consolidé. Mais le continent en solitaire orgueilleux trouvera dans la coopération et l’échange d’avec ces entités dominantes, des moyens de regimber et d’être, ainsi, l’allié libre dans l’universalisme pluriel que la culture des autres apporte au profit de ce mondialisme positif, avec comme vecteur de structuration le monde multipolaire ou multi-civilisationnel. Ce vaste monde où toutes les civilisations s’acceptent, s’apprécient, se valent et s’échangent mutuellement dans l’intérêt général.
Entretien réalise par Chérif Abdedaïm, La Nouvelle République du 7 avril 2012
Source:http://www.lnr-dz.com/pdf/journal/journal_du_2012-04-07/lnr.pdf