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Divine Party – Alexis Forestier

Publié le 07 avril 2012 par Belette

Vendredi 6 avril se jouait la dernière de Divine Party de la Compagnie des Endimanchés au Théâtre Paris Villette, un spectacle poétique, visuel et musical qui traverse sur scène la Divine Comédie de Dante. Un pari fou réussi.

Divine Party – Alexis Forestier

Inferno party

Inferno party, Purgatory party, Paradise party : Alexis Forestier, fondateur de la compagnie et metteur en scène, nous invite à une fête dantesque. Célébration toute personnelle du poème de Dante, Divine Party est loin d’être pure ou propre : ici, on mâche le sens, on se roule dans la boue langagière, on malaxe les sons. D’ailleurs tout le monde porte une combinaison de travail. La scène est envahie d’objets et d’accessoires hétéroclites actionnés à vue : roues, cerceaux, tubes métalliques, balai, cordes, mât, écrans, échelles…, ainsi que d’instruments de musique et de baffles : plusieurs pianos, percussions, batterie, système électronique, ordinateur… Avec deux bouts de ficelle, un carton et trois micros, Les Endimanchés recréent la traversée du Styx, l’ascension de la montagne de Purgatoire, la rencontre avec Béatrice…

Les extraits de la Divine Comédie sont dits dans la langue originale avec un accent français assumé par Cécile Saint-Paul, après une introduction de Virgile. Tout au long du spectacle, l’italien est entrecoupé d’allemand : de l’autre côté du plateau, à cour, Alexis Forestier chante les mots de Kafka en contrepoint, avec un accent français tout aussi assumé. La traduction est projetée sur deux écrans placés chacun à l’un des bords de la scène : celui réservé à Dante est rectangulaire, celui dédié à Kafka ovale. Ainsi, la distinction entre les textes est parfaitement claire et met en évidence la pertinence de leur mise en parallèle : échos et renvois fonctionnent pleinement. Alors que Dante se préoccupe de plus en plus de métaphysique, chez Kafka les motifs sont naturels et géologiques. La forêt que l’on est invité à visiter est dense, et sans doute le seul moyen de s’y retrouver est-il d’accepter de s’y perdre. « Kafka, dit Alexis Forestier dans une conversation avec Marie-José Malis, est là pour dire la présence et la persistance de la forêt come l’élément terrestre qui viendrait neutraliser ou altérer ou en tout cas amoindrir ce qui aurait à voir avec le jouissance de la contemplation divine, il s’agit d’un retour ou d’une manière de se retourner. Mais Dante lui-même le dit, il regarde en arrière, il regarde la terre, qu’il appelle “la petite aire qui nous rend si féroces…” » (cité par Jean-Marc Adolphe).

Virgile, Kafka et Dante, rien que ça ! On se souvient de Tuer la misère présenté en 2009 au Théâtre de la Bastille, dans lequel les Endimanchés avaient invité l’art brut d’André Robillard sur scène, et qui était un spectacle autrement plus court. La traversée de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis dure 3h30 (sans compter l’entracte) : les longueurs se font ressentir, mais ne sont-elles pas aussi le moyen d’éprouver l’errance ? La narratrice ne sait pas vraiment où va la conduire l’histoire qu’elle déroule avec nous, aussi une sorte de suspens tire le spectacle entier : à quoi ressemble l’Enfer ? comment sortir du Purgatoire ? que fait-on au Paradis ?

Divine Party – Alexis Forestier

Purgatory party

Alexis Forestier, Cécile Saint-Paul, Julien Boudart et Antonin Rayon répondent admirablement aux questions qu’ils posent eux-mêmes. Tous sont un peu acteurs et un peu musiciens. Présenté comme un “théâtre concert” sur le site de la compagnie, Divine Party met tout en musique : rock/ hard rock, chanson/ ritournelle, le spectacle se promène entre ces deux pôles avec bonheur. Le reste, ce sont des bruitages divers et variés, des percussions, des transistors suspendus dans les airs, des chants d’oiseaux, de sirènes ou que sais-je encore… Tout est mis à profit pour faire du son et rien n’est sacralisé. On s’approprie tous les matériaux dont on dispose, quitte à transformer Kafka en Rammstein ou Dante en numéro de clown : Julien Boudart et Antonin Rayon sont condamnés à se battre pour l’éternité. Des Enfers pleuvent les têtes de mort (mannequins découpés) et sortent des hommes sans tête ; l’horreur en carton-pâte fait bien davantage rire que pâlir.

La lumière n’est pas en reste : Matthieu Ferry plonge la salle entière dans la pénombre la plupart du temps, ici et là une pleine lumière révèle quelque chose ou accompagne Alexis Forestier et Cécile Saint-Paul dans le public ; les couleurs dessinent des paysages : rouge foncé pour l’Enfer, ocre pour le Purgatoire et blanc bleuté pour le Paradis. Mais les figures évoluent dans l’ombre, et parfois la lumière n’est là que pour montrer l’absence. Ainsi le Paradis est-il éclairé d’une douche or sous laquelle personne ne vient se placer : c’est frustrant, et révélateur d’un lieu de perfection ennuyeuse, où le mouvement n’a pas de raison d’être. Le Paradis est l’aboutissement de la quête de la narratrice, qui l’a conduite des tréfonds de la terre au sommet de la plus haute montagne, représentée par un escalier d’enceintes. Si la musique est très clairement identifiable comme la production de ceux qui sont sur scène, qu’en est-il de leur parole ? Muette ou comique, elle se glisse dans les interstices ouverts par la poésie. Ici, c’est Alexis Forestier qui parle silencieusement au public pendant un changement de décor, en s’emparant au passage des événements du jour, là un scientifique caricatural à perruque qui explique un passage de la Divine Comédie (à propos des 7 ciels aristotéliciens). Le commentaire fait preuve d’une distance critique et drolatique qui met à distance l’objet impressionnant, magistral, millénaire, du spectacle. Comme si le seul moyen de s’attaquer à Dante était de ne pas le prendre trop au sérieux.

On pense à Max Black de Heiner Goebbels pour la musique et le comique hétéroclite, à Vincent Macaigne pour le détournement ludique et profanateur de l’une des plus grande œuvres de l’histoire du monde, à François Tanguy pour l’espace et ses multiples cadres (ils ont d’ailleurs répété à la Fonderie au Mans, dans le théâtre de Tanguy). Et puis on reste bien sûr admiratif devant la grande réussite du mélange des genres : installation plastique, concert et poème, Divine Party est tout cela à la fois. Aussi Alexis Forestier et ses Endimanchés mériteraient-ils d’être plus largement produits et diffusés.

Divine Party – Alexis Forestier

Paradise party

N.B : Le Théâtre Paris Villette est en danger, signez la pétition !



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