Ça commence à Manhattan. Non, plutôt par une présentation. Inhabituelle. Comme si les spectateurs aux tempes majoritairement grisonnantes ne savaient pas à qui ils vont avoir affaire. Peu
probable. Cette brève introduction, c’est Yves Bigot qui s’en charge. Une présentation, c’est rare. C’est un peu désuet. C’est dire si l’événement est exceptionnel. Il y a trente ans, dit-il, il
était déjà là pour le dernier Olympia d’Yves Simon. Moi non, j’avais cinq ans. J’étais excusé.
Ça commence à Manhattan donc. Juste après une longue standing-ovation rien que pour l’accueillir. Juste après qu’il ait, enhardi, d’emblée présenté ses musiciens. C’est inespéré, cette chanson
fétiche (Manhattan) en entame. La setlist sera d’ailleurs d’un très bon niveau, oubliant Zelda et Le film de Polanski certes, mais variant
harmonieusement les plaisirs : des nouvelles chansons bien sûr, mais surtout ces morceaux des années 70, ceux qui me faisaient écrire, il y a quelques mois, à quel point certains de ses
albums m’étaient chers (ici). 2 heures 20, 23 chansons et de longs apartés plus tard, je serai rassuré de constater que cette
durable émotion discographique n’a pas été trahie.
Mais revenons au concert. Juste après Manhattan, donc, arrive déjà ce beau moment où Yves Simon, dans un long monologue "springsteenien", évoque quatre influences parmi tant
d’autres, agrémentant le récit de son apprentissage musical de quelques couplets empruntés à Brassens, à La chanson de Prévert, à Love Me Do, à Mister Tambourine Man. Brassens, Gainsbourg, les Beatles, Dylan, le chanteur reste, en 2008, fidèle à ces influences-là, solides balises d’un homme de goût ne se perdant pas – comme un
certain Michel P. en 2007 – dans des arrangements grandiloquents et déjà démodés. La formule choisie est basique, entre rock amplifié et délicat folk acoustique.
À ce moment-là, donc, Yves Simon et ses quatre musiciens sont sur scène depuis près d’un quart d’heure et il n’a chanté qu’une seule de ses chansons. Le public s’impatiente. C’est dommage. Moi,
j’aurais aimé que cette promenade musicale balisée de souvenirs intimes, tel un "Rockollection" du pauvre, dure plus longtemps encore. Yves Simon était disert hier. Il est vrai qu’il aime parler
de lui, raconter des anecdotes, dire surtout d’où il vient, ce qui l’a accompagné, ce qui l’a construit (c’est la matière de deux de ses livres récents : La manufacture des
rêves et Épreuve d’artiste). Entre les chansons, il narre des anecdotes, convoque Serge Gainsbourg, Yves Montand, Françoise Hardy, Alain Bashung. C’est parfois émouvant,
irritant souvent. Mais on n’oublie pas qu’il était déjà dans ces chansons un adepte du name-dropping. Peu importe, après tout : quand il cite finement Proust ou se ravise, d’une boutade,
sentant qu’il va un peu trop loin sur le fil du narcissisme, on est prêt à lui pardonner.
Bien sûr, soyons honnêtes, il y aura aussi eu hier soir un tube peu recommandable – et presque annoncé comme tel (Amazoniaque, seule incursion dans le répertoire des années 80)
– une récente "souchonnerie" (Les filles ont des sentiments), quelques hésitations et deux ou trois nouveaux morceaux plus faibles. Du coup, on aurait bien aimé discuter du
concert – de ses hauts et ses bas – avec le chanteur Florent Marchet** et le romancier Arnaud Cathrine, présents dans la
salle quelques rangs plus loin. Les voir là – sans doute aussi pour applaudir en première partie Valérie Leulliot – consolidait les passerelles déjà mentalement dressées entre les disques de
Marchet et ceux de Simon. Le flirt poussé avec la littérature, le goût du talk-over, cela qu’ils partagent à trente ans d’intervalle, Yves Simon ne le laissera pas de côté, interprétant avec
aplomb les textes poignants de Regarde-moi et Raconte-toi, morceaux-phares déjà présents sur le live japonais enregistré en 1977. Quoi d’autre ?
L’essentiel : Les bords de la Moselle, Le joueur d’accordéon, Les héros de Barbès, Diabolo menthe, Les
fontaines du casino, et bien sûr J’ai rêvé New York pour boucler géographiquement ce tour de chant entamé dans les brumes de Manhattan d’une voix alors pas tout à fait en
place.
Puis vint ce rappel où Yves Simon enchaîna, seul à la guitare, trois chansons de cet album paru, je n’y peux rien, l’année de ma naissance : Les Gauloises bleues, Rue de la Huchette et Au pays des merveilles de Juliet. Sur cet ultime morceau, malgré les chœurs et les handclaps de 2 000 autres privilégiés, nous n’étions plus que
deux alors. Lui et moi…