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On ne présente plus George Lucas, réalisateur, producteur, homme d'affaire, créateur entre autres des franchises Star Wars et Indiana Jones... ainsi que de leurs innombrables produits dérivés.
Pendant toute sa carrière, il n'aura réalisé en tout et pour tout que 3 films : THX 1138, American Graffiti et les Star Wars. Un impact extraordinaire pour un nombre de films aussi réduit, qui lui ont permis de s'imposer comme une des figures majeures d'Hollywood. Sa carrière d'entrepreneur, elle, est beaucoup plus prolifique : producteur de films (LucasFilms), de jeux vidéos (LucasArts), fondateur de Pixar pour l'animation, de THX pour les systèmes de son, de Industrial Light and Magic pour les effets spéciaux... Elle lui permet d'accumuler une fortune de plus de 3 milliards de dollars, considérable pour quelqu'un issue du cinéma.
"THX 1138" est son premier long-métrage. Il est considéré par beaucoup comme un véritable chef d'œuvre. Pourtant, THX 1138 fut un flop total auprès du public... Comme Lucas le dit lui-même, c'est un film "avant-garde", un OVNI parmi les blockbusters habituels. Et c'est ça qui le rend intéressant, cette honnêteté, cette franchise. Un film tourné pour des motifs artistiques entiers.
C'est apparemment suite à cet échec commercial que George Lucas décida par la suite de réaliser des films plus grand public...avec le succès qu'on lui connait.
THX 1138 est donc un film entier, où Lucas laisse exprimer tout son talent. Par petites touches, un détail par ci une phrase par là, il y dresse le portrait saisissant d'un monde oppressant, renfermé, torturé, kafkaïen.
Une certaine vision de l'avenir...qui montre toute sa pertinence aujourd'hui.
THX 1138 est l'histoire d'un homme. THX 1138 est son nom, ou plus exactement son "matricule". Un homme parmi tant d'autres, un matricule parmi des millions, que rien ne distingue. Pourtant THX 1138 va finir par briser ses chaînes et réussir à vivre libre.
Dans la société de THX 1138, Les Hommes vivent en société, mais ils évoluent dans la solitude la plus extrême. Les rapports humains ont été réduits à néant. Pas de famille, pas d'amis, pas d'amour, pas de sexe, qui est interdit.
Uniformisés à l'extrême, tous les habitants ont des crânes rasés, sont habillés du même uniforme blanc, ont un matricule pour seul nom... Ils sont interchangeables, sans identité, sans individualité.
Est-ce cela l'ultime stade d'individualisation de la société, dont nous voyons les prémisses ?
Pour survivre dans ce monde déshumanisé, la prise de sédatifs et autres médicaments est institutionnalisée, systématique, et même obligatoire. Ne pas prendre quotidiennement ses gélules est un crime ("criminal drug evasion" en VO, soit "crime d'évasion médicamenteuse" en VF). Les urines des habitants sont constamment analysées pour prévenir toute tentative.
THX 1138 entame sa libération, malgré lui, en arrêtant de prendre ses gélules. Sa "roommate" (colocataire), LUH 3417, l'y amène en remplaçant à son insu ses médicaments. Suite à ça, LUH et THX peuvent enfin expérimenter l'Amour (pour la 1ère fois !), et couchent ensemble.
Mais le système oppressif, omniprésent, veille et les surprend. Ils sont alors séparés, jugés (par un proceur de 12 ans... la dictature des "enfants rois" ?) et mis en prison.
La télé, déjà en 3D (ça vous rappelle quelque chose ?).
Après une journée de travail éreintante, n'ayant aucun sens, on se détend en regardant de la violence complètement gratuite : un homme se faire tabasser, inlassablement, par un policier.
Pas de mise en scène, pas d'artifice, pas de faux-semblant : THX 1138 se complaît dans le voyeurisme d'une violence pure...pour se détendre. C'est une scène particulièrement difficile, malgré le minimalisme de sa mise en scène.
Une dénonciation radicale du penchant humain pour le voyeurisme, tout en créant du "temps de cerveau disponible".
Alors que THX 1138 se sent de plus en plus mal (suite au manque des gélules), il se rend plusieurs fois au "confessionnal". Cette espèce de cabine téléphonique contient une image de Jésus Christ (ici appelé "OMM 0910") sur écran rétro-éclairé, qui ressemble très étrangement à une sucette publicitaire de JCDecaux.
Celui-ci répète inlassablement de sa voie électronique "oui / je vous écoute / continuez..."... avant de conclure ses prêches par un symptomatique : "Travaille dur. Augmente la production. Et... soit heureux"
Une variante : "Achète. Achète plus maintenant" et toujours le "Et... soit heureux".
Une bonne extrapolation du message sous-jacent de la pub d'aujourd'hui : "produit, consomme, obéis".
Le seul truc à acheter est un objet appelé "le Produit", dont la consommation est encouragée par des messages incessants dans des supermarchés épurés. Le "Produit" se révèle n'être qu'un cube de couleur, à l'utilité mystérieuse...
Une extrapolation de nos modes de consommation actuels ? Le résultat de siècles de pub pour nous convaincre d'acheter des choses inutiles et sans valeur, aussitôt achetées, aussitôt jetées ?
Comme si ce monde était normal, accepté de tous.
A un seul moment, SRT, un des protagonistes, donne cette explication : "c'est arrivé si lentement, que la plupart des hommes ont échoué à réaliser que quelque chose s'était bien passé".
Le retour de l'allégorie de la grenouille : une situation peut parfaitement devenir invivable et sans provoquer aucune réaction...à la condition que les changements aient eu lieu suffisamment lentement.
Une allégorie biologiquement fausse (essayer d'ébouillanter une grenouille pour voir), mais une image parfaitement vraie : lorsque notre environnement se dégrade lentement (société, climat, humanisme..) sommes nous réellement capables de le percevoir ?
L'ironie est que THX 1138 participait à la construction de ces robots...une métaphore que nos aliénations sont souvent créées par nous-mêmes ? De même, sa compagne LUH 3417 travaille-t-elle au département des écoutes, chargé de surveiller constamment tous les autres.
Un oiseau passe dans le ciel éclairé du soleil couchant. Un signe que la vie à l'extérieur est donc possible ?