La première fois que Radio Campus m’a envoyé au Chabada, c’était en 2009 et c’était pour interviewer David-Ivar, alias Yaya, prolifique songwriter qui vadrouille depuis une quinzaine d’années en compagnie du groupe à géométrie variable, Herman Dune. Un groupe qui m’enchante depuis que “Mas Cambios” a illuminé de belles journées de printemps alors que je révisais mon bac. C’est “Next Year in Zion” qui avait ensuite inauguré notre toute première émission, à l’automne 2008. Tout cela ne nous rajeunit pas mais le fait est que lorsqu’on le retrouve de nouveau à Angers jeudi dernier, Ya Ya n’a pas pris une ride.
Il est dans sa loge, profitant d’un moment de tranquillité pour une sieste bien mérité. Tandis que Néman, le fidèle batteur, continue de recharger ses batteries, David-Ivar accepte de répondre à nos questions. C’est qu’on a tellement de choses à lui demander. “Strange Moosic”, leur dernier album, sorti il y a presque un ans, est d’une douceur infinie que l’on attendait impatiemment de voir illuminé la scène du Chabada, où le groupe à ses habitudes. Et la récente prestation à la Cité de la Musique en hommage au “Shot of Love” de Dylan a réanimé notre amour inconditionnelle pour le duo. Alors c’est de ça qu’on va parler. Du nouvel album, de Dylan, de cette nouvelle page qui s’ouvre pour le groupe et qui nous donne envie de les suivre d’encore plus près.
Depuis votre dernier passage à Angers, en 2008, vous avez eu le temps de créer votre propre label, « Strange Moosic » et d’enregistrer un nouvel album à Portland. Le début d’un nouveau chapitre pour Herman Dune ?
Chaque album est très différent mais je pense pas vraiment en termes de périodes. Au moment d’enregistrer, je me demande quelle serait la meilleure façon de donner vie à mes chansons. Pour « Strange Moosic », on avait envie de créer notre label depuis longtemps, ça nous a permis de nous lancer dans une nouvelle aventure, de chercher un bon studio, de prendre le producteur que l’on voulait [Adam Selzers]. De vraiment prendre le temps d’avoir l’album que l’on souhaitait, aussi bien au niveau musical que visuel, puisque l’album est sorti sous forme de livre, ce que je voulais depuis longtemps.
Est-ce qu’on retrouve la même effervescence aujourd’hui à Portland qu’à New York au début des années 2000 ? Avez-vous fait de nouvelles rencontres, rencontré une nouvelle famille ?
À Portland, il y a beaucoup de musiciens, d’artistes, d’auteurs-compositeurs, beaucoup de musique se fait là-bas actuellement, c’est comme un nouveau Nashville. Mais finalement, quand on enregistre un album, on reste très fermé, on part pas vraiment à la recherche d’une scène. On est resté en studio sans vraiment aller voir des concerts, sans vraiment en faire. Ce qui nous empêche pas de connaître pas mal de gens sympa à Portland, oui.
Tu voyage souvent entre la France, la Suède, New York, Portland et de nombreux pays. C’est quoi ton port d’attache, l’endroit où tu te sens le plus chez toi ?
Quand j’arrive à New York, j’ai vraiment l’impression de revenir chez moi. C’est la ville qui m’a le plus marquée dans ma vie d’adulte. J’y ai débarqué quand j’avais une vingtaine d’années et c’est là que je me suis affirmé en tant qu’artiste et qu’individu. Quand je vais à Paris, je me sens chez moi aussi parce que j’y ai grandi, mais c’est moins lié à la personne que je suis aujourd’hui. En Suède, je me sens chez moi car ma famille est originaire de là-bas. Quand tu es petit, tu te fabrique ta personnalité par rapport à tes origines et je me suis toujours senti très proche de la Suède.
Et d’après toi, c’est quoi l’endroit idéal pour savourer « Strange Moosic » ?
En général, je trouve qu’on apprécie bien un disque en voiture. J’aime bien conduire en musique. En rêvant, en regardant par la fenêtre…
Comme Jon Hamm dans le clip de « Tell Me Something I Don’t Know » ?
Oui voilà, dans ce genre de belle voiture américaine ou bien dans une Ford Galaxy, une voiture qui fasse pas trop de bruit pour pouvoir tout de même écouter la musique. Et puis si possible un jour où le temps a quelque chose à offrir, que ce soit de l’orage ou du soleil.
Le 10 mars dernier, vous étiez sur scène à Paris pour reprendre en entier l’album « Shot of Love » de Bob Dylan, à l’occasion d’une exposition qui lui était consacré à la Cité de la Musique. Chaque passionné de Dylan à une histoire particulière avec chacun de ses albums, chacune de ses chansons. C’est quoi votre histoire avec « Shot of Love » [publié en 1981] ?
Il y a beaucoup d’albums de Dylan que je connais depuis toujours, grâce à mes parents, qui l’écoutent beaucoup. Ces albums-là sont pour moi presque génétiques : « New Morning », « John Wesley Harding », « Selfportrait », « The Times They Are A-Changin’ » ou « The Freewheelin’ », ils passaient en boucle chez moi quand j’étais gamin. Je me suis jamais posé la question de savoir si je les aimais ou pas, ils étaient là. « Shot of Love » est venu plus tard. J’avais douze ans et je voulais faire plaisir à mon père en lui achetant les trois premiers volumes des « Bootlegs Series » [compilations d’inédits et de prises alternatives comprenant neuf volumes] et il y a « Every Grain of Sand » dessus, une chanson qui m’a toujours fascinée et qui m’a poussé à acheter « Shot of Love », que j’ai immédiatement adoré. Je me suis rendu compte qu’il devenait vraiment très important pour moi à l’époque où on était en tournée avec Turner Cody [chanteur country et ancien bassiste du groupe] avec qui je partage une passion pour Dylan, et sur cette tournée on écoutait « Shot of Love » tous les jours, je pouvais plus m’en passer. On a souvent une relation personnelle avec les albums de Dylan, et « Shot Of Love », c’est ça pour moi, quelque chose de spécial.
Et « Shot Of Love », c’est finalement un choix qui paraît évident pour Herman Dune, on pourrait presque croire avec des morceaux comme « Heart of Mine » ou « In the Summertime » qu’il s’agit de vos propres chansons. Et il y a une belle émotion lorsque ton père monte sur scène pour jouer de l’harmonica sur « Every Grain of Sand ».
Oui, il jouait déjà sur quelques morceaux de « Next Year In Zion » et c’est important pour moi de l’inclure dans mes projets. C’est lui qui m’a appris à aimer la musique et qui m’a fait découvrir Dylan. Il m’a transmis une éducation, une certaine foi et « Every Grain of Sand » évoque cette foi, celle des ancêtres de mon père et celle qu’il a voulu me transmettre. Donc oui, c’était assez émouvant de jouer une chanson aussi belle, aussi pieuse, avec mon père.
En tant qu’illustrateur, quel regarde porte-tu sur la carrière de peintre de Dylan ?
Déjà, Dylan dessine très bien, j’ai toujours adoré la pochette de « Selfportrait » ou les dessins qu’on retrouve dans « Blood on the Tracks ». Et récemment, il a fait beaucoup d’expositions, comme « The Brazil Series », que j’ai vu à Copenhague, c’était le cadeau d’anniversaire de ma copine. C’était fantastique, très influencés par les peintres fauves, on voit qu’il aime beaucoup Matisse. Et c’est intéressant car on retrouve dans ses dessins la manière dont il observe le monde dans ses chansons. On y retrouve beaucoup de détails, d’amour des situations, une envie de raconter des histoires. Et puis objectivement, c’est un très bon peintre, il a la technique, il sait ce qu’il fait, il n’expose pas son travail parce qu’il est Bob Dylan, mais parce qu’il est un bon peintre avant tout.
Et Dylan sait écrire également, comme nous le prouve sans cesse ses chansons et la publication de ses « Chroniques », en 2004. Toi aussi, tu écris et on peut régulièrement lire de petites nouvelles sur ton blog. Tu aurais envie de publier ce travail, d’écrire sur une forme autre que la chanson ?
La chanson, c’est déjà une forme qui me suffit en soi, mais oui, évidemment, j’aimerais continuer d’écrire. Récemment, j’ai eu une nouvelle publié dans une revue littéraire américaine et j’adore cet exercice. Mais ça demande une certaine concentration et une certaine solitude que je n’obtiens pas souvent dans ma vie d’artiste, surtout en tournée. Dès que j’ai une minute à moi, j’essaye d’écrire autant que je peux.
Avec Herman Dune, tu écris des textes très personnels, qui sont liés à des moments précis de ta vie. Alors est-ce qu’au fil du temps, tu finis par te sentir éloigné de tes compositions les plus anciennes ?
Pas forcément, car même si ça reste personnel et que les anecdotes que je raconte appartiennent au passé, c’est surtout l’écriture en tant que tel qui m’intéresse, l’expression. Donc ce n’est pas parce que l’histoire n’est plus valable ou que la fille n’est plus dans ton cœur que les mots n’ont plus de valeur. Quand il m’arrive de chanter une chanson des premiers albums, que ce soit « Turn Off the Lights » ou « Switzerland Heritage », c’est les mots qui me parlent plutôt que ce à quoi ils font référence. Et j’espère que les gens qui écoutent ressentent la même chose. En général, quand on se sert de choses personnelles pour écrire, ce n’est pas pour raconter sa vie mais pour l’utiliser comme d’un matériau. Sinon, on aurait besoin de connaître la biographie d’un artiste pour pouvoir apprécier sa poésie. Et si j’avais envie de raconter ma vie, j’irais chez un psychanalyste…
On parlait tout à l’heure de nouvelles rencontres. Tu peux nous en dire un peu plus sur votre collaboration avec la marque de vêtements « Petit Bateau » ?
On a été contacté par « Petit Bateau » pour une collaboration artistique. Ils travaillent avec des stylistes d’habitude et là, ils souhaitaient travailler avec le groupe et aussi avec moi en tant qu’illustrateur. Je connaissais pas forcément très bien la marque mais elle a une bonne réputation, elle est éthique et n’emploie pas de produits animaux, alors j’ai dit pourquoi pas. J’ai envoyé des dessins, des motifs, ils ont été acceptés et ils nous ont même fabriqués une chouette figurine Baby Blue [le yéti mascotte du groupe].
Vous suivez toujours les projets de l’ancienne bande new-yorkaise : Turner Cody, James Levy, Adam Green et les autres membres de la scène étiquetée « anti-folk » ?
Oui, j’ai toujours des nouvelles. On a retrouvé Jack Lewis [le frère de Jeffrey Lewis] qui habite à Portland ; Turner Cody, c’est l’un de mes meilleurs amis, on se parle pratiquement tous les jours, j’adore jouer et chanter avec lui ; James Levy, j’aime beaucoup son nouvel album [« Pray to Be Free », sorti en février]mais on n’a jamais rien fait ensemble pour le moment, pourquoi pas, c’est un bon copain ; Adam Green, je le connais pas tant que ça, c’est avant tout un bon pote à Turner, je suis plus proche de Kimya Dawson, qui chantait avec lui à l’époque des Moldy Peaches.
Est-ce que Néman continue de travailler avec ZOMBIE ZOMBIE, son projet parallèle [duo éléctro-psychédélique formé en compagnie du saxophoniste Etienne Jaumet] ?
Oui, il a un nouvel album qui est prêt, mais il doit d’abord attendre la fin de notre tournée avant de le publier, histoire de ne pas être au four et au moulin, comme on dit…
Juste avant de partir en tournée, vous étiez d’ailleurs tous les deux en studio. Un nouvel album d’Herman Dune à prévoir bientôt ?
Oui, on est sorti de studio avant-hier. On y était pour enregistrer ce qui, au début, devait être seulement une bande originale de film et qui est devenu, au fur et à mesure, un album. Le réalisateur nous demandait de plus en plus de morceaux et on enregistré de quoi remplir un nouvel album, oui.
À la manière de Dylan et de ses « Bootleg Series », est-ce que tu aimerais un jour publier un catalogue exhaustif de tes anciens morceaux ?
Pour l’instant, j’aime surtout publier mes morceaux sur mon blog [http://strangemoosic.tumblr.com/], j’aime bien ce format de diffusion épisodique. Je suis en train de me demander si je vais pas sortir mes reprises de « Shot of Love » sur BandCamp ou de manière un peu plus officielle, je suis en train d’y réfléchir en tout cas. J’ai plein d’enregistrements un peu partout alors il est possible que je finisse par les ranger dans une compilation. Mais je préfère pour l’instant me consacrer aux nouveaux albums plutôt qu’au passé.
Et c’est le soir-même que l’on retrouve Ya Ya sur scène, en compagnie de Néman et du bassiste Ben Pleng (également membre de Yeti Lane). Le grand monsieur qui sort de sa sieste a désormais l’allure d’un musicien déterminé à explorer chaque recoin de ses chansons, en tapant du pied et en saturant le son de sa guitare électrique. Pas de setlist, c’est au reste du groupe de le suivre et de rendre vivant ce concert où des textes souvent lumineux sont magnifiés par une énergie incroyable, une vraie passion de jouer. Il fallait au moins ça pour convaincre le public angevin, toujours aussi immobile et qui a eu du mal à se remettre de l’incroyable Dick Turner, habituelle première partie du groupe, sorte de barde fantaisiste qui vomit avec candeur sa mélancolie à coups de boites à rythmes et de trombone.
Et comme prévu, les morceaux de “Strange Moosic” tiennent la route, que ce soit le single “Tell Me Something I Don’t Know” expédié joliment ou le superbe “The Rock”, dont les arpèges rappellent le “Boots of Spanish Leather” de Dylan. Ce dernier est d’ailleurs à l’honneur avec une reprise de notre morceau favori de “Shot of Love”, un “In the Summertime” chanté par Ya Ya lors de son interlude acoustique, où il rendra également hommage à Buddy Holly, avec un “Rave On” fougueux. Je me dis que Ya Ya a des airs de Dylan ce soir, la manière dont il s’accroche à sa guitare, dont il étire certaines syllabes, dont il revisite ses classiques (“I Wish That I Could See You Soon”) et semble regarder au loin quelque chose qui nous échappe, mais qu’il parvient à nous communiquer avec sa douce voix et ses mélodies évidentes.
Les concerts d’Herman Dune nous laissent toujours plein d’amour, plein d’espoir, prêt à affronter le printemps les cheveux dans le vent, sifflotant en réécoutant cette musique, étrange et familière à la fois.
Rejoignez-nous sur le 103fm mardi prochain, entre 19h et 21, pour prolonger le plaisir : deux heures consacrés à Herman Dune, avec des extraits de notre entretien avec Ya Ya, des inédits, des reprises et un tas de surprises.