Richard Canal est né en 1953, à Tarascon-sur-Ariège. Il a poursuivi (et rattrapé, apparemment) des études d’informatique qui l’ont vu sortir de l’Université de Toulouse III avec un doctorat. Marié, avec un enfant, il accomplit ses tâches professionnelles de maître de conférences en Afrique : il fut en poste à Yaoundé (Cameroun) et enseigne actuellement à de futurs ingénieurs-informaticiens à l’École Nationale Supérieure Universitaire de Technologie de Dakar (Sénégal). Un certain nombre d’éléments constitutifs dans ses intrigues et dans la forme de sa science-fiction trouvent indéniablement leur source dans les connaissances techniques de l’auteur, sans pour autant que sa science-fiction tourne au jargon d’hyperspécialiste (3), tout comme les décors de la “trilogie” (constituée par Swap-Swap, Ombres blanches, et Aube noire) dans cette Afrique qu’il aime (humainement et artistiquement, c’est une première clé de l’œuvre) et où il continue de vivre. Richard Canal a sans doute été l’un des premiers à nous décrire un futur déglingué dans lequel l’Amérique du Nord s’enfonce dans la pauvreté sociale et intellectuelle tandis que le continent africain devient une grande puissance mondiale. Aube noire est exemplaire à ce titre, mais le motif est présent dès Swap-Swap, roman dans lequel des marabouts amateurs d’art (sic) recherchent les témoignages les plus précieux du passé européen, comme les quarante-cinq tours de Claude François (4)…
Canal a confessé naguère combien il éprouve le sentiment que “l’acte d’écrire est une urgence, que chaque phrase que l’on pose sur le papier ne saurait être autre chose qu’un cri, chaque texte un manifeste” (5). Dans le même entretien, déjà ancien, il avouait avoir balancé de l’anarchie à la littérature avant de choisir les mots pour armes. Si notre écrivain est un lyrique et un romantique, il n’est pas pour autant partisan de l’art pour l’art, pas davantage qu’un créateur autiste coupé du monde, non plus qu’un cynique ayant choisi d’ignorer les soubresauts du reste de la planète. Bien au contraire, il s’affirme éminemment politique, bien plus peut-être qu’une bonne part des tenants de la SF idéologique des années soixante-dix, car il n’hésite pas à saisir à bras-le-corps une thématique du refus et de l’indignation que ses personnages transmutent en action pure. “Nous avons perdu l’innocence et la rage mais je ne désespère pas : un jour, nous mordrons”, disait-il encore.



Mais Richard Canal, a-t-on dit, serait représentatif d'une génération “post-politique” de la SF française. Sa pratique littéraire pourrait certes être qualifiée davantage de formaliste que de purement utilitariste, mais son discours n'en est pas moins un discours de révolte : le choix d'une Afrique forte, décrite de l’intérieur, dans la trilogie est symptomatique d'un refus des fausses évidences occidentales. “Un retournement de l’ordre du monde”, avait dit Éric Vial (9). Et n’est-ce pas l’espoir de l’utopie anarchiste de retourner l’ordre comme un gant afin de le rendre en définitive obsolète et inutile ? Les hommes doivent se battre et s’unir, comme ceux de Shamäyor, qui se retrouvent orphelins de leur confort, contraints de réinventer leur vie, en accord avec le temps, lorsque les Sources se tarissent et que les villes flamboyantes qu'elles entretenaient meurent.
Dominique Warfa
(3) Parmi les auteurs parfois qualifiés de “cyberpunks” au sein de la SF française, Canal malgré ses connaissances pointues paraît au contraire très attaché à ne pas laisser les informations techniquement nécessaires contaminer entièrement le lexique du récit. En passant, il faudra un jour comparer les oeuvres science-fictives des écrivains français par ailleurs informaticiens — outre Canal : Dunyach, Girardot, Léourier et sans doute d’autres...
(4) L’historien du genre retrouverait une première variante de ce motif du retournement de perspective dans un roman de Bernard Villaret, Mort au champ d’étoiles, qui voit passer dans la France profonde du marais poitevin des ethnologues africains étudiant la société locale (Marabout, 1970).
(5) In entretien avec Richard Comballot, paru dans Solaris, n° 92 (été 1990).
(6) Au plan purement politique, non en tant qu’image du “mythe” révolutionnaire (le héros encore jeune qui disparaît dans l’action).
(7) Mais déjà, au-delà de l’action, l’art. L’art qui, comme l’a vu Noé Gaillard (critique de la réédition de La malédiction de l’éphémère dans KWS n° 21, septembre 1996), “serait la seule réponse, notre réponse à la malédiction, cette impossibilité à franchir les cercles pour échapper à la brièveté de notre existence”.
(8) De ce point de vue, on ne peut évidemment manquer de rapprocher les cités flamboyantes du Cimetière des papillons de celles de Villes-Vertige. Si aucune appartenance à un cycle quelconque n’est mentionnée dans le roman le plus récent, une parenté plus qu’allusive est claire.
(9) Critique de Swap-Swap dans Imagine, n° 54, décembre 1990.
Galaxies, n°7, décembre 1997