Sur l'île d'Öland, au sud de Stockholm, l’hiver approche à grands pas. Le vent mugit, les vagues se fracassent sur la grève, le froid se fait mordant, la glace et la neige apparaissent au détour de la nuit. C’est presque le bout du monde, un coin perdu au bord de la mer Baltique, un paysage sauvage et rude, qu’il faut découvrir pour aimer, qui se gagne. Un paysage troublant où le passé semble vivre sa vie propre, où les morts reviennent les soirs de tempête, murmurent au plus profond du sommeil des vivants, un monde envoutant et inquiétant où l’homme est faible face aux éléments. Seuls les deux phares deneurent droits dans la tourmente, immuables colosses de pierre, témoins muets du passé éclairant la nuit.
La nouvelle maison de la famille Westin a justement une vue directe sur les phares, et on dit même qu’elle aurait été construite avec les pierres d’une ancienne chapelle et le bois d’un bateau naufragé, dont tous les marins auraient péri un soir de tourmente. On dit même qu’elle est hantée, ou bien qu’elle porte malheur à ses habitants, et d’ailleurs il semble que la vieille bâtisse s’anime la nuit, des bruits suspects résonnent, des ombres inquiétantes semblent avoir pris possession de la grange attenante, les portes s’ouvrent d’elles-mêmes ; c’est une maison-mémorial où les noms des morts sont gravés dans le bois… Cela n’a pourtant pas empêchés le jeune couple de quitter leur belle villa de la banlieue de Stockholm pour venir s’installer sur ce coin perdu sur la lande avec leurs deux enfants. Joachim et Katrine sont heureux de se mettre à retaper cette vieille maison, et de pouvoir vivre enfin en harmonie avec eux-mêmes et avec la nature, loin du stress de la capitale.
Mais le malheur rode sur ces contrées et on retrouve le corps de Katrine, tombée à l’eau entre les deux phares et noyée. Joachim ne peut se résoudre à la perte de sa femme et s’enfonce dans un déni dangereux, autant pour sa santé mentale que pour celle de ses enfants, à qui il raconte que leur maman est partie, sans pouvoir dire cependant quand elle reviendra. Il ne comprend pas que son épouse puisse être tombée à l’eau, et c’est d’ailleurs l’avis de la jeune policière chargée de l’enquête, qui vient d’arriver sur l’ile.
Ne vous y trompez pas, même si l’histoire nous narre le chemin que va parcourir Joachim pour enfin arriver à accepter la mort de sa femme, c’est l'île d'Öland le personnage principal de ce roman. Les hommes qui l’habitent n’y sont que tolérés par la nature, qui elle, régit tout. Elle en a vu passer, des hommes, et des morts aussi ! Et les vieilles maisons de l’ile abritent parfois dans leurs murs épais les soupirs de ceux qui ne sont plus, mais qui veulent encore parler aux vivants, demander pardon, expliquer, ou bien se venger…
Johan Theorin excelle à décrire ces paysages, cette tourmente que l’on attend et que l’on redoute, le vent et la glace, la neige et les tourbières. L’atmosphère est alourdie par la pluie glaciale, et l’on se prend à frissonner en cours de lecture… Je n’aimerais pas vivre dans ces contrées, même si le paysage doit y être magnifique… Mais l’auteur nous offre également une intrigue serrée, et tous les ingrédients d’un bon polar. Suspense, retournements de situation, suspicion, indices disséminés que le lecteur ne reconnait qu’après coup… Un lecteur avide de vérité qui tourne les pages à la vitesse du vent déchainé de la tourmente, qui veut savoir pourquoi Katrine s’est noyée, qui veut comprendre autant que le veut Joachim.
Nous retrouvons dans ce roman le vieux Gerlof rencontré dans L’heure trouble, toujours heureux de se replonger dans son passé et celui de l’ile, dans les histoires des temps anciens qu’il raconte cette fois-ci à sa petite nièce Tilda, la jeune flic qui vient de prendre son poste sur l’ile. Gerlof est la mémoire de l’ile, et a assez de connaissances de ce monde du bout du monde pour analyser mieux que quiconque les situations et comprendre le cœur des hommes. Même vieilli et malade, du fond de sa maison de retraite, il entend et sait les choses, et c’est grâce à lui que se dénouera une bonne partie de l’intrigue. Il est le symbole du passé et lui seul sait analyser les indices qui pourtant se dressent sous le nez de ceux qui cherchent, mais ne savent pas voir. Il saura relier le passé au présent et comprendre le lien entre les vols commis par des malfrats du coin dans les maisons vides des estivants et cette mort incompréhensible. Il est la mémoire de l’ile, mais une mémoire vivante, autant tournée vers le passé que vers le présent.
Ce roman passionnant, qui emporte le lecteur dans cet univers trouble et angoissant, est un vrai régal de lecture, que je ne peux que vous conseiller.
Un grand merci au Livre de Poche pour l'envoi de ce livre !
Un roman lu par Hannibal lecteur, Oncle Paul, Soukee, Canel, Marie, Cuné, Kathel, Pimprenelle, Sandrine, Sassenach, Alex, Clara, Lystig...