Le 23 mars 2007 était voté par le Parlement suisse un Arrêté sur "l'amélioration des conditions fiscales applicables aux activités entrepreneuriales et aux investissements".
Un référendum était déposé le 12 juillet 2007 et l'Arrêté était soumis à votation le 24 février 2008. Il n'était approuvé de justesse que par 50,5% des voix.
Près de 4 ans plus tard, en décembre 2011, le Tribunal fédéral statuait sur une demande d'annulation de cette votation faite par une conseillère nationale socialiste bernoise, Margret Kiener Nellen. Dans son recours celle-ci invoquait les déclarations du conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz, chef du Département fédéral des finances de l'époque [dont la photo provient d'ici], et des partisans de l'Arrêté.
Par leurs déclarations ces derniers avaient mal informé le peuple en prétendant que le manque à gagner fiscal résultant de cette réforme profiterait en premier lieu aux PME et qu'il se limiterait à quelques dizaines de millions de francs pour la Confédération et les cantons, ce que contestaient alors les adversaires de l'Arrêté, brandissant des chiffres autrement plus alarmants, sans être toutefois en mesure de les prouver.
Tout en critiquant ouvertement l'insuffisance d'information donnée par le Conseil fédéral sur le risque de forte baisse des rentrées fiscales pour les caisses publiques, les juges du Tribunal fédéral ont cependant rejeté le recours de Margret Kiener Nellen au motif que la réforme était appliquée depuis près de trois ans, que les contribuables s'étaient adaptés aux nouvelles règles et qu'il n'était donc plus possible de revoter sur l'objet...
Certes les adversaires de la réforme avaient peut-être raison de parler de l'incidence de celle-ci sur les rentrées fiscales. Mais en pointant du doigt cette seule incidence, ils omettaient volontairement de parler du principe à l'origine de cette éventuelle baisse significative, la volonté d'atténuer la double imposition que subissent in fine les actionnaires puisque les sociétés paient un impôt sur les bénéfices et que les actionnaires en tant que tels paient à leur tour un impôt sur les revenus issus de ces bénéfices nets d'impôts que sont les dividendes.
Le raisonnement du législateur était qu'en pénalisant les distributions de bénéfices la préférence était donnée à l'autofinancement, avec des effets pervers sur le marché des capitaux. Les nouvelles entreprises à fort développement avaient du mal à se financer. Les entreprises anciennes avaient des capacités de financement supérieures à leurs propres possibilités d'investissements rentables.
Comme c'est la saison des assemblées générales d'actionnaires, Le Temps, dans son édition d'hier ici, s'est fait un malin plaisir populiste d'évaluer pour l'année 2011 les sommes, distribuées par les plus grandes entreprises suisses, qui ne seront pas soumises à l'impôt anticipé grâce à cette réforme: 8 milliards de francs. Cette manchette du quotidien genevois participe évidemment d'une campagne de presse destinée à favoriser la révision de l'Arrêté parlementaire du 23 mars 2007, entré en vigueur le 1er janvier 2009.
Le Temps, après avoir rappelé que la réforme permet d'alléger l'impôt anticipé sur les distributions de réserves de capital, se livre à des extrapolations fantaisistes. Si l'allègement sur l'impôt anticipé est estimé par l'AFC, l'Administration fédérale des contributions, à 600 millions de francs en 2011 pour 24 milliards de réserves de capital distribuées (quelques lignes plus haut le journaliste du Temps parle d'un allègement de 1,2 milliard...), alors, les réserves totales des entreprises suisses étant de 700 milliards de francs, leur distribution coûterait entre 11 et 18 milliards de francs...
La leçon de toute cette cabale est que les adversaires de la réforme veulent bien qu'elle s'applique aux PME, mais pas aux grandes entreprises. Les mêmes se déclarent, en d'autres occasions, quand cela les arrange, en faveur de l'égalité de traitement... On ne sera pas surpris que les adversaires de la réforme se recrutent dans les rangs socialistes... et qu'ils ne soient pas ravis de l'aubaine qui obligera les autorités à diminuer les dépenses publiques en conséquence...
Il serait plus juste, si tant est que les impôts puissent se justifier en dehors du financement des fonctions régaliennes de justice et de sécurité, non pas d'atténuer la double imposition inique que subissent les actionnaires, mais de la supprimer purement et simplement, indépendamment de toutes considérations sur le marché des capitaux, pour le simple respect de leurs droits de propriété, qui ne sont pas moins estimables que les autres.
Francis Richard