C’est le récit d’une nuit d’insomnie d’un homme seul dans sa chambre. Cet homme s’appelle August Brill, autrefois critique littéraire de renom, il est âgé de soixante douze ans et en partie infirme.
Pour chasser les souvenirs douloureux de sa vie (sa femme est morte d’un cancer, le fiancé de sa petite fille a été tué en Irak, et sa fille ne se remet pas de l’abandon de son mari cinq ans auparavant), il passe ses nuits à imaginer toutes sortes d’ histoires.
Cette nuit-là il imagine un monde où les événements du 11 septembre n’ont pas eu lieu et où les États-Unis sont ravagés par une terrible guerre civile. Il invente un personnage, Owen Brick, magicien de profession, qu’il fait voyager de notre monde à ce monde imaginaire et qui est chargé de le tuer, lui, August Brill, inventeur de cette guerre civile … ce qui est peut-être une manière d’effleurer l’idée du suicide sans risque ?
Tel est donc le sujet de la première moitié du livre, la plus palpitante selon moi, dont je donne ici un petit extrait :
Il n’y a pas qu’une seule réalité, caporal. Il existe plusieurs réalités. Il n’y a pas qu’un seul monde. Il y en a plusieurs et ils existent tous parallèlement les uns aux autres, mondes et anti-mondes, mondes et mondes fantômes, et chacun d’entre eux est rêvé ou imaginé ou écrit par un habitant d’un autre monde. Chaque monde est la création d’un esprit.
Voilà que vous parlez comme Tobak. Il prétendait que la guerre se déroulait dans la tête d’un homme et que si cet homme était éliminé la guerre s’arrêterait. C’est bien la chose la plus insensée que j’aie jamais entendue.
Tobak n’est sans doute pas le soldat le plus intelligent de l’armée, mais il disait vrai.
Dans la deuxième partie du livre, August Brill est rattrapé par la réalité, d’abord par les souvenirs concernant sa femme : il l’a fait souffrir, il l’a trahie à plusieurs reprises, leur vie de couple a été orageuse mais avec de grandes périodes de bonheur. Sa petite fille rentre dans sa chambre et l’interroge, il répond sans détours.
Le roman se clôt sur d’autres souvenirs, qui ramènent au thème de la guerre d’une manière très brutale.
Ce livre m’a semblé une bonne illustration de la manière dont les traumatismes, la violence, la guerre peuvent imprégner l’imaginaire d’une personne, façonner ses fantasmes, voire répondre à son propre besoin de destruction.
C’est aussi une belle illustration de la manière dont le sentiment de culpabilité peut être envahissant, s’immisçant jusque dans les rêves à les souvenirs.
Je dis bien “illustration” et pas “réflexion” car ni le personnage principal ni l’auteur ne cherchent à établir de liens entre les différents événements ou entre les différents mondes. Tout est donné en vrac et c’est au lecteur d’échafauder sa propre interprétation.
Pour ces raisons j’ai eu beaucoup de plaisir à lire Seul dans le noir, je l’ai trouvé intelligent, touchant, très bien écrit, surprenant, mais par moments on se demande où Paul Auster veut en venir ?
Peut-être nulle part.