Dernier né des studios CyberConnect2 (à qui l’ont doit les adaptations de Naruto Ninja Storm sur Playstation 3 et les anciennes versions PS2), Asura’s Wrath fait parti de ces jeux qui divisent à coups de grandes interrogations le gamer des temps modernes. Deux grands thèmes chers aux esprits polémiques : les QTE et les cinématiques à outrance. Peut-on parler de jeux vidéo alors que l’on se contente d’appuyer un bouton déclenchant une série d’actions contextuelles ? Est-ce qu’un jeu axé quasi exclusivement sur les scènes cinématiques reste un jeu vidéo à part entière ? Franchement, j’ai envie de vous répondre qu’un jeu reste un jeu du moment qu’il remplit son office : divertir le pad en main. Seulement les choses ne sont pas si simples avec le petit dernier de chez Capcom…
Une affaire d’acceptance
Asura’s Wrath prend place dans un passé ancestral où les demi-dieux et les gohmas (monstres peuplant les entrailles de la Terre) se livrent une bataille sans merci. Le joueur contrôle Asura, l’un des huit généraux de cette grande armée, un combattant au tempérament colérique et à la puissance démesurée. Rapidement pris au sein d’un complot, sa femme assassinée et sa fille (prêtresse de son état) retenue contre son gré, Asura est vite écarté des affaires, laissé pour mort. Le prétexte est alors tout trouvé pour botter toutes les fesses se présentant sur son chemin, ennemis naturels comme anciens alliés, le guerrier sombrant petit à petit dans une spirale de rage incontrôlable.
À première vue nous sommes d’accord, pas de quoi tomber de son canapé ou pousser des grands cris de joie. Surtout lorsque la vérité éclate : Asura’s Wrath ne se joue quasiment pas, du moins pas au sens traditionnel du terme. Plus proche d’une sorte de dessin animé interactif alternant entre phases (simplistes) de contrôle du personnage à la troisième personne et cinématiques interactives à la mise en scène et à l’esthétique léchées. Le joueur sera tout de même actif, mais dans un cadre limité, par petites touches disparates. Tantôt une petite phase de QTE, tantôt face à un ou plusieurs opposants où il faudra jouer des poings de façon assez bourrine. Un parti pris dans lequel CyberConnect2 se livre tout entier et joue à fond la carte de l’over sized, dans chaque personnage, mimique, plan, ligne de dialogue. Les cinématiques présentées à l’annonce du jeu en 2010 ne mentaient pas, la collaboration entre Capcom et CyberConnect 2 allait donner quelque chose de grand. Mais voilà le problème : il y a un joli paquet de couleuvres à gober sans réfléchir. Et à la moindre hésitation, c’est fini, le jeu perd une immense partie de son charme. Prenons l’exemple des QTE : saviez-vous qu’elles n’ont aucune incidence sur le déroulement des évènements ? Que vous pouvez poser la manette et regarder le jeu se jouer (du moins dans les cinématiques) sans que cela ne change quoi que ce soit à la direction de l’histoire ? Le genre de choses qui divise d’emblée une large majorité des joueurs, en plus d’un scénario convenu et d’une durée de vie ridicule. Malgré ça, le jeu n’est pas mauvais, très loin de là. Il demande surtout de casser ses habitudes et se laisser entrainer dans un délire très visuel, sans se poser trop de questions.
Une patte artistique
Ce que le jeu de CyberConnect2 risque de perdre en crédibilité face à certains puristes intransigeants, il le conserve sans aucune discussion possible dans son style et son ambiance. Dans sa direction artistique en premier lieu, d’une beauté rare, empruntant au folklore hindou et s’inspirant sans rougir de grands shonen tout en muscle et en sueur avec des clins d’oeil très appuyés à Dragon Ball Z ou Naruto. Les personnages bénéficient de ce soin tout particulier, dans le choix des tenues, dans leurs caractères stéréotypés. Les cinématiques – véritable nerf du jeu – sont des perles d’animations, jouant sans retenue sur le côté spectaculaire des combats entre puissances illimitées. Il ne sera plus surprenant au cours du jeu d’assister à des combats dévastateurs coupant la Lune en deux ou des ennemis, un en particulier, tellement imposant qu’il ne tient pas sur Terre. Voilà le genre d’ambiance de folie qui règne durant les quelques heures de jeu.
Le terme jeu sonne assez bizarrement, parlons plutôt d’un dessin animé interactif, tant le rythme et le peu de participation demandée au joueur fait pencher la balance du côté d’une série anime de quelques épisodes, à regarder d’une (ou deux) traite ou par morceaux choisis – une vingtaine de chapitres à disposition. Avec son lot de « previously on » et de climax, Asura’s Wrath joue sur un découpage épisodique et base le dynamisme de son intrigue exclusivement sur des pointes d’action très intenses dans une courte période donnée. Chaque nouveau sûtra (les chapitres en langage Asura) met une baffe au précédent et donne aux mots « colère » ou « rage » un sens nouveau. La construction reste aussi dans ce même schéma, avec son lot de flashback et de scènes de dialogues et d’explications convenus.
Le joueur investi
Asura devra successivement venir à bout de ces anciens camarades de guerre, chacun se réglant généralement pas un duel dévastateur. Pour cela, un schéma systématique se met en place : des gohmas de toutes les espèces à vaincre (gorilles, éléphants, tortues) ou un ancien camarade à affronter dans une zone de jeu extrêmement pauvre en interaction et très limité dans ses déplacements. La durée de la scène varie en fonction d’une jauge dite de Furie à remplir à force d’enchaînements et d’esquives réussies. Cette jauge atteinte, le jeu part dans une grande scène cinématique où le joueur pourra réagir uniquement à l’aide de QTE. Comme nous vous le disions avant, réussir ou louper une QTE n’engendre aucun changement dans le déroulement de la scène, une chose qui choque à première vue tant ce système a été vanté justement pour octroyer au joueur une interaction plus poussée sur le jeu et l’intrigue.
Deux clans se dessinent : certains poseront la manette, lassé de n’être qu’un acteur passif, les autres rentreront dans le jeu et simuleront jusqu’au bout. Et quelle simulation ! Appuyer précisément sur le bouton demandé au moment de l’impact d’un coup procure une réelle sensation de puissance. Le frisson de faire un impact « excellent » donne l’impression de foutre une vraie pêche, de prendre part à un vrai combat où chaque coup, chaque esquive – même scripté – à son importance. On est en tout cas beaucoup plus impressionné par ce genre de mise en scène, bien loin des QTE basiques qui déclenchant une série de coups en appuyant sur un bouton, le joueur mis sur le côté et regardant une scène sans y prendre part. Dans Asura’s Wrath, même si le chemin est tracé et sans à côté, la sensation de participation à l’effort est décuplée par ses QTE aux positionnement réfléchi. Il faudra par contre se taper continuellement des scènes d’introductions in game plutôt lourdes qui placeront le joueur dans une arène fermée ou une brève scène de shoot, avant d’accéder au plaisir de la furie.
Pauvre en séquences de jeux, mais une vraie participation demandée du joueur, même s’il n’influe en rien sur l’histoire : voilà les promesses délivrées par Asura’s Wrath, petit ovni énervé né des esprits nourris aux shonens de CyberConnect 2. La direction choisie par les développeurs pose fatalement la question de la place réelle du joueur au milieu d’un jeu. Doit-il accepter d’être pris par la main, limité, mais d’en prendre plein les yeux ? Et dans tout ça, la QTE continue de faire parler d’elle. Son impact sur la narration prend une tournure inattendue, la colère d’Asura est muselée dans les phases in game par ce système limitatif, mais le plaisir contrôlé, on ressent même une certaine empathie entre deux excès de colère mémorable.