A un peu plus de quinze jours du premier tour de l’élection présidentielle, je suis partagé entre la saturation, engendrée par une campagne vide et sans relief, et l’impatience de voir le Lider Minimus perdre l’immunité due à son rang. La tension monte, mais je ne suis pas inquiet pour une victoire de la gauche. Ce n’est pas la récente publication d’un catalogue d’idées réchauffées, très loin des préoccupations de français, toutes aussi démagogiques les unes que les autres, qui va modifier la donne.
Comme le citoyen va devoir désigner un bonhomme, je souhaite apporter un éclairage sur l’actuel taulier de l’Elysée. Ce qui suit est extrait de «Sarko m’a tuer» de Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Cette lecture m’a consterné parce qu’au travers de personnages aussi divers que variés, on y retrouve notre chef de l’Etat dans des postures qui sont très éloignées de sa fonction officielle, avec une constante : l’extorsion, la corruption, la manipulation, la vengeance… Cela ne se fait pas, je le sais, mais ce passage est tellement révélateur du personnage qu’il ne peut être passé sous silence… J’espère que les auteurs ne m’en tiendront pas rigueur.
Cette détestation pour l’actuel hôte de l’Elysée, Jacques Dupuydauby dit l’éprouver depuis leur première rencontre, voilà près de trente ans, au cours de laquelle il aurait donc vu le « vrai » Sarkozy, en étant témoin – et acteur – d’une scène compromettante. Un scène qu’il n’a jamais rapportée jusqu’alors, et dont aucun témoin ne peut confirmer la véracité. Mais Dupuydauby assure que tous les détails sont restés gravés dans sa mémoire. Comme pour marquer la solennité du moment, l’homme d’affaire écrase son cigare dans un cendrier et s’avance sur le bord du fauteuil en cuir. A propos de Nicolas Sarkozy, il dit, en préambule : « c’est un homme qui n’oublie rien. Mais moi non plus. »
Puis il déballe ses souvenirs.
« Ma première rencontre avec cet individu remonte à 1983, peu après son élection surprise à la mairie de Neuilly-sur-Seine. » A cette époque, Dupuydauby était vice-président de la SCAC, un groupe de fret dont le siège était situé à Puteaux, dans la circonscription législative de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). « Un jour, une secrétaire me téléphone pour me dire que M. le maire souhaite me rencontrer. J’ai dit OK, je n’avais aucune raison de refuser. » L’homme d’affaire dit avoir proposé au jeune maire de Neuilly de venir déjeuner au siège de l’entreprise, dans la salle à manger de la direction. Nicolas Sarkozy, alors âgé de 28 ans, accepte l’invitation. « Le jour dit, il se présente et, là, d’emblée, le contact n’est pas passé entre nous. Mais bon, on a quand même déjeuné ensemble. Au début du repas, j’ai tenté de lui parler des choses qui me passionnent : le gaullisme bien sûr, la situation économique. Mais j’ai vite renoncé, j’ai bien vu qu’il n’en avait rien à faire. "Je ne suis pas venu pour ça", m’a-t-il dit. En fait, il voulait parler argent. Il m’a d’entrée entrepris sur la prochaine élection législative, avec une obsession : comment la financer. Il voulait savoir si j’étais prêt à payer ».
A cette époque, le financement de la vie politique n’était pas encadré. L’opacité était de mise, on flirtait avec la légalité à tout instant. « Je lui ai répondu que, pour moi, ce n’était pas un problème de personnes, que je soutiendrai le candidat ou la candidate gaulliste. Et je lui ai rappelé que la candidate sortante, Florence d’Harcourt, risquait d’être réinvestie. » Florence d’Harcourt fut effectivement réélue en 1986, mais céda sa circonscription à Nicolas Sarkozy lors des législatives en 1988. Il affirme : « Quand j’ai prononcé son nom, Sarkozy a lâché "Ah, cette conne…" C’est alors que qu’il a enchaîné avec cette phrase : "Maintenant, parlons de la suite de ma carrière." Et là, il a commencé à me décrire, avec un aplomb invraisemblable pour un type de son âge, ce qu’il pensait que serait son parcours politique. Il m’a dit qu’une fois élu député, il serait secrétaire d’Etat, puis ministre. Ensuite, bien sûr, il viserait Matignon. Et enfin, pourquoi pas l’Elysée ! Je n’en revenais pas, j’étais soufflé. »
[…] « Après m’avoir déroulé son projet de carrière, il m’a dit : "Vous le savez, pour une carrière politique d’envergure, il faut de l’argent, beaucoup d’argent." Il a enchaîné par cette phrase que je n’oublierai jamais : "Il y a deux catégories de personnes : celles qui vont m’aider, qui seront mes amies, et celles qui ne vont pas m’aider, qui seront mes ennemies." Il a poursuivi : "J’ai un cabinet d’avocats. Prenez-moi comme avocat-conseil et tous les mois je vous enverrai une facture." Je lui ai répondu : "Mais notre société a déjà des avocats, vous ferez quoi ?" Il a souri et m’a lancé : "Allons, vous comprenez bien ce que je veux dire non ?" Bien sûr que j’avais compris. Il voulait une convention d’honoraires pour des prestations fictives. »
D’un geste du bras, Jacques Dupuydauby mime Nicolas Sarkozy : « Il a sorti un papier de sa poche : il avait préparé un projet de contrat ! J’ai été stupide, j’aurais dû le garder. Mais j’ai été tellement choqué que je ne l’ai pas pris. Il y avait un montant mensuel inscrit dessus, c’était très élevé. Mais en même temps très malin : il savait bien que, pour une boîte aussi énorme que la SCAC (on avait plus de cinq cents filiales en France et à l’étranger, notamment en Afrique), qui devait bien dépenser 500.000 francs en avocats chaque mois, ce serait passé comme une lettre à la poste. C’était très crédible, d’autant plus que nous n’avions pas d’avocat coordonnateur. Il l’a très mal pris, le repas s’est fini là-dessus. Avant de partir, il m’a lâché : "Je m’en souviendrai." Il a tenu parole, effectivement, il s’en est souvenu ! Ce déjeuner m’a coûté cher, il m’a même pourri la vie ! Je n’ai rien oublié de cette conversation, j’avais tout noté après son départ. C’est une habitude chez moi, je note tout. Et je conserve mes notes… »
[…] « Sans ce déjeuner et ce contact physique avec lui, mon antisarkozysme n’aurait pas été ce qu’il est. Ce déjeuner, c’est comme une graine qu’il a été semée. A partir de cet incident, j’ai senti sa main partout, chaque fois que j’ai eu des ennuis. »
De quelque bord que vous soyez, lisez «Sarko m’a tuer» avant le second tour, et votez ensuite en pleine connaissance de cause.