Prenant exemple sur François Mitterrand, le candidat Sarkozy a pris sa plus belle plume pour rédiger une « lettre au peuple français », au moment où son programme est enfin dévoilé. Ce texte d’une trentaine de pages, conçu pour « s’adresser à vous sans aucun intermédiaire », compile les concepts et les slogans des discours sarkozystes des derniers mois, avec une concession à l’actualité la plus récente : un long passage liminaire sur les meurtres de Toulouse et Montauban. L’occasion pour l’épistolier de l’Elysée de faire un plaidoyer pro domo sur l’insécurité, et de fustiger les socialistes, forcément responsables bien qu’éloignés du pouvoir national depuis … 10 ans.
Au beau milieu de cette argumentation, dans une section intitulée « Aucune idéologie de haine ne peut être tolérée dans notre pays », le candidat défend les mesures anti-terroristes qu’il a annoncées au lendemain de ces drames, et qui ont été très critiquées sur leur efficacité. Après Toulouse, il a notamment proposé un contrôle accru du web, accusé par lui d’être un facteur de montée du terrorisme : « Toute consultation régulière de sites faisant l’apologie du terrorisme ou du Jihad sera considérée comme un délit ». Il revient sur ce sujet dans sa lettre aux Français. « Nous devons être intraitables contre le fondamentalisme. Il faut combattre les manifestations criminelles de cette idéologie de haine […] à sa racine intellectuelle, dans les prisons, dans les prêches de certains prédicateurs extrémistes, ou encore sur les sites Internet. Faire l’apologie du terrorisme et de la violence sur Internet n’a rien à voir avec la liberté d’expression et de communication ». Jusque là, rien de neuf. C’est la suite du texte qui nous fait progressivement entrer dans la quatrième dimension. « La liberté d’Internet est précieuse, mais Internet n’est pas une zone de non-droit dans laquelle on peut impunément déverser des messages de haine, faire circuler des images pédophiles, piller le droit d’auteur. La société a le devoir de se protéger contre ceux qui attaquent ses valeurs. Rester inertes face à ceux qui se radicalisent dans la haine et la violence par la consultation de sites Internet illicites serait une faute morale. »
Oui, vous avez bien lu. Au plein cœur d’un développement sur le nécessaire combat contre le terrorisme et le fondamentalisme – développement qui continue après ce passage – Nicolas Sarkozy met sur le même plan, comme ça, en passant, la propagation du terrorisme, la diffusion d’images pédophiles et … la copie et le téléchargement illégaux. Trois attaques supposément équivalentes contre les « valeurs » de la « société ». On pourrait déjà être quelque peu consterné de la confusion entre terrorisme et pédophilie, entre une problématique politico-religieuse et une problématique médicale. Que dire de l’ajout à ce musée des horreurs sarkozien d’une problématique économique et surtout culturelle, liée pour le coup à une révolution technologique en cours de notre société ?
J’ai vérifié, Internet n’apparaît nulle part ailleurs dans cette Lettre aux Français. Quant à la « culture », elle n’est évoquée que pour dire qu’il faut défendre la culture occidentale contre ses ennemis. Nicolas Sarkozy, victime du bien connu syndrome « Internet tue » ? Plus simplement, l’auto-proclamé « candidat du peuple » assume radicalement la cohérence et la logique de sa posture de grand défenseur de la France de l’ordre, de la France conservatrice. Et pour la rassembler derrière lui, il a besoin de lui faire peur, à cette France. Il ne se fait plus d’illusions sur sa capacité à faire revenir à lui un électorat jeune, connecté, progressiste. Il se concentre, à l’instar de Bush en 2004, sur la constitution d’un bloc conservateur, crispé sur ses angoisses et son refus du monde qui change. Pour cela, et pour faire monter ce bloc à 50% des voix plus une, il tente le tout pour le tout, multipliant menaces et boucs émissaires. Une moitié de la France contre l’autre moitié de la France. Plus c’est gros, plus ça passe.
Il n’empêche. Ami internaute qui télécharge illégalement de la musique ou des films, aie cela en conscience au moment de mettre ton bulletin dans l’urne : pour Nicolas Sarkozy s’adressant aux Français, tu te situes entre un barbu poseur de bombes et un pervers qui traque les photos de petits enfants dénudés. A toi d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Romain Pigenel